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discuter les questions religieuses avec le Vatican… Et ce n’est pas en ce moment que nous nous abstiendrons de faire ce qu’ont fait tous les gouvernemens, de nous entretenir avec le saint-siège des questions qui intéressent la conduite de l’Église française. » M. le ministre des affaires étrangères a montré l’autre jour ces négociations, pour ainsi dire en action, dans leur simple vérité, par la lecture qu’il a faite de ses dernières instructions à l’ambassadeur de France auprès du Vatican : le nouveau président du conseil n’a pas parlé autrement de nos relations avec le saint-siège.

C’est donc un fait nécessaire, permanent, plus fort que la volonté des radicaux : on vit sous le régime concordataire, régime qui suppose une entente habituelle, des négociations, des transactions de tous les instans ; mais si la nécessité est reconnue, si on décline le mandat de préparer la séparation de l’Église et de l’État, parce que cette séparation n’aurait pas de majorité dans le parlement et serait encore plus désavouée par le pays, il faut se décider : il faut parler et agir sans subterfuge ! La pire des politiques serait d’invoquer le concordat et de le pratiquer avec des arrière-pensées ennemies et des menaces, d’un ton rogue, en paraissant ménager ou encourager les passions radicales qui en poursuivent la destruction. Un homme qui n’a jamais été un politique, mais qui avait la clairvoyance et la finesse du bon sens, Sainte-Beuve, l’a écrit un jour, il y a un demi-siècle, au courant d’une de ses causeries : « Rien ne fait plus de bruit qu’une secte, rien n’est moins au centre d’un pays et d’un temps. » Voilà toute la question : qu’on laisse la secte faire son bruit, qu’on écoute le pays et qu’on l’avoue ! Sans cela, on ne cessera de se débattre dans cette équivoque, dans cette situation fausse d’où on ne peut sortir. Les ministères, le nouveau comme l’ancien, dépendront d’une coalition fortuite qui peut se reproduire demain, — et ce qui est plus grave, la France restera à la merci des passions contraires, sans garantie pour sa paix morale qui est la première condition de sa grandeur.

Avant qu’il soit longtemps, dans ce mouvement universel et rapide des choses du jour, il ne restera plus que bien peu de survivans des générations anciennes. Ils s’en vont les uns après les autres, laissant du moins l’héritage de leurs actions et de leurs services, transmettant à leurs successeurs les traditions généreuses dont ils auront été jusqu’à leur dernière heure les fidèles gardiens. Ainsi vient de s’éteindre ce vaillant serviteur de la France, l’amiral Jurien de La Gravière, arrivé au bout d’une carrière bien remplie et toujours honorée. Il était presque octogénaire ; on aurait pu à peine s’en douter jusqu’à ces derniers temps, tant il gardait de feu, de bonne grâce et de zèle au travail. Il ne cessait de chercher ce qu’il pourrait faire encore pour l’honneur, pour l’histoire de ce grand art de la guerre navale qu’il connaissait si bien, après l’avoir si bien pratiqué.