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perdu leur caractère légendaire, furent transformés en épisodes historiques. En revanche, ajoute M. Sathas, on vit des personnages historiques métamorphosés en êtres fabuleux. À cette dernière catégorie appartiennent Phidias et Praxitèle : ils furent changés en saints, en philosophes nus, en hommes de marbre et de bronze, enfin en jongleurs qui pouvaient tenir dans leurs mains des masses de fer rouge.

Grégorovius n’est pas éloigné de croire que le monument choragique de Lysicrate donna naissance à cette légende du Roman d’Alexandre qui attribue à Platon l’érection d’une colonne, haute de cent pieds, au sommet de laquelle brûlait une lampe qui éclairait tout Athènes :

« En milieu de la ville ont drecié un piler.

« C pies avoit de haut, Platons la fist lever.

« Deser ot une lampe… »

Le Liber Guidonis, de son côté, fait des Propylées une fondation de Jason !

Rien ne prouve que des superstitions si étranges aient protégé ces ruines augustes contre le vandalisme, soit des indigènes, soit des étrangers. A distance, leur prestige était plus grand : la bulle par laquelle le pape Innocent III créa notre compatriote Bérard archevêque d’Athènes (1206) rend hommage, en un langage élevé, quoique singulièrement subtil, à tant de souvenirs glorieux : « La grâce de Dieu ne permet pas que l’antique gloire de la ville d’Athènes périsse. Lors de sa fondation première, cette cité nous offre, comme dans un prélude, la figure de la religion moderne divisée en trois parties ; elle a d’abord adoré trois divinités fausses, ensuite elle a transformé ce culte, rendu à trois personnages, en celui de la vraie et indivisible Trinité. Elle a également échangé l’étude de la science profane contre l’amour de la sagesse, divine ; elle a fait de la forteresse de la célèbre Pallas le siège humble de la glorieuse mère de Dieu ; elle a acquis la connaissance du vrai Dieu, après avoir longtemps auparavant élevé un autel au Dieu inconnu. »

Des intuitions d’un passé si glorieux se rencontrent jusque chez les personnages les moins lettrés : Pierre IV, roi d’Aragon et duc d’Athènes, déclare en 1380 que « l’Acropole est le joyau le plus riche de la terre et de telle valeur que tous les rois de la chrétienté ne pourraient pas créer son pareil. »

Ces sympathies, longtemps purement platoniques, finirent par amener un résultat considérable. La politique a été pour peu de chose dans le mouvement qui a poussé tant de nations à prendre enfin le parti de la Grèce contre ses oppresseurs ; les souvenirs historiques, le philhellénisme, ont pesé d’un poids plus lourd dans