Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/425

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’en pouvoir douter que l’on travaille à Nice à estamper plusieurs milliers de boutons en cuivre, ayant dans le champ une fleur de lis en creux[1]… » Est-ce tout ? Non. « Trois chariots chargés de ballots d’uniformes français et de caisses d’armes sont partis du port de Limpia dans la direction de la frontière[2]. » Un garde national d’Antibes étant allé à Nice en uniforme est hué, insulté, poursuivi par une foule, à la tête de laquelle se trouvent des réfugiés français porteurs de la cocarde noire. On lui arrache sa cocarde tricolore et on la foule aux pieds ; il n’est délivré que par l’intervention de deux ordonnances du gouverneur qui le renvoie, le lendemain, par mer à Antibes, encore tout meurtri des coups qu’il a reçus[3]. Le prince de Condé, déguisé, s’est présenté à Turin chez l’armurier du roi de Sardaigne et lui a demandé s’il pouvait se charger d’une fourniture de dix mille fusils de munitions. Le marché a été conclu. L’armurier a envoyé un émissaire à Saint-Étienne pour y embaucher des ouvriers. Les réfugiés français qui se trouvent à Turin « se sont liés entre eux par un serment solennel dont l’objet n’est point public, mais que l’on présume être une ligue contre la Révolution[4]… » Une correspondance est découverte, qui prouve que les émigrés nouent des intelligences dans l’armée, cherchent à gagner à prix d’or des sous-officiers et des soldats à leur cause[5]. Au mois de décembre, ce n’est même

  1. Archives de Toulon. — Lettre du consul de France à Nice, du 25 novembre 1790.
  2. Ibid.
  3. Archives de Toulon. — Procès-verbal dressé par la municipalité d’Antibes sur l’insulte faite à Nice à un de ses gardes nationaux. Le fait est postérieur de quelques semaines à ceux qu’on réunit ici : le procès-verbal est daté du 11 janvier 1791. Une lettre de Leseurre, à la municipalité d’Antibes, nous apprend que le gouverneur de Nice, M. de La Planargia, fit punir ceux qui avaient malmené le garde national, et qu’il adressa une sévère réprimande aux réfugiés français complices de ces violences.
  4. Archives de Toulon. — Lettre de Leseurre, sans date, mais évidemment de la même époque.
  5. Archives de Toulon. — Procès-verbal dressé, le 23 novembre 1790, par la municipalité d’Antibes et constatant la découverte, chez un sieur Audibert, de lettres échangées par cet individu avec le chevalier de Villeneuve-Tourette, et lui donnant des renseignemens sur l’esprit des deux régimens de Provence et des Ardennes. L’esprit des officiers et des sous-officiers est bon. « Provence est toujours le même, attaché d’amour pour son roi et animé du désir de répandre son sang pour le lui prouver. Il reste encore la plus grande partie des soldats des Ardennes qui pensent dans le sens de la Révolution… Je n’ai rien épargné de toute façon pour cimenter l’amitié qui règne entre les sous-officiers. Je désirerais faire plus du côté de la bourse, mais je ne suis pas riche, ayant femme, enfans et un modique emploi.., etc. » Le 29 novembre, nouvelle lettre de Leseurre : « L’on suit toujours le plan d’une contre-révolution. On parle du rassemblement d’une armée pour agir du côté des Alpes, composée de troupes des princes d’Italie. On y fait entrer celles du roi de Sardaigne, mais j’ai tout lieu d’en douter, et je ne vois encore rien qui l’annonce. Un grand personnage la commanderait et aurait en second un général prussien, que l’on suppose à Milan pour en diriger les opérations. Ou ajoute que l’on est sûr de 80 millions pour la former et l’entretenir, que le pape en prête 12… et le surplus avancé par divers princes et États. Je ne garantis pas ces bruits. Il est aussi question d’un concile que le pape convoquerait sur les affaires de l’Église : c’est le moyen favori de nos prélats réfugiés ici… »