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encore, la pratique. Il excelle à la préparer et, quand il en a dressé le programme, il l’exécute avec une incomparable perfection. A-t-il surpris quelque velléité de résistance dans la population qu’il malmène, qu’il pressure, qu’il décime, dans l’un des corps administratifs qu’il asservit ou qu’il brave ? Ses espions lui ont-ils révélé, par exemple, qu’une partie de la garde nationale murmure contre lui et cherche secrètement un appui auprès du directoire départemental ? Que cette haute assemblée, composée de membres de la bourgeoisie libérale et modérée, médite de recourir à la représentation nationale pour délivrer la ville[1] ? Aussitôt les meneurs, dans une série de séances tumultueuses, chauffent à blanc les esprits des membres de l’association. Des déclamations furibondes retentissent à la tribune, des motions incendiaires éclatent. Toute cette tourbe grossière, rassemblée à Saint-Jean, se grise de paroles violentes, d’invectives, de menaces. Quand elle est arrivée au paroxysme de la fureur, on la lâche. La meute enragée se rue dans la ville, la parcourt avec des clameurs sauvages, des gesticulations frénétiques, qui redoublent chaque fois qu’elle passe devant la maison d’un suspect, d’un ennemi du club. On se contentait, dans les premiers temps, de faire halte un instant sous ses fenêtres et de le régaler, en manière de sérénade, d’une audition du « Ça ira », accompagné de gestes expressifs. Un peu plus tard, à partir de 1792, on tâche de le saisir et on le pend. Bientôt, on portera en triomphe des têtes coupées, on forcera des ci-devant à baiser ces faces blêmes, plantées à la pointe des piques[2]. La population paisible se cache et tremble derrière ses volets clos, au passage de la horde hérissée de sabres, de piques et de baïonnettes, qui hurle à plein gosier des refrains sanguinaires. Et c’est là ce qu’on appelle « une promenade civique. » Pas de semaine où le club n’en offre à Toulon le spectacle terrifiant. Aux momens de crise, ces promenades se renouvellent chaque jour. La malheureuse cité est ainsi tenue dans un état chronique de stupeur et d’épouvante qui abolit en elle toute énergie, toute faculté de résistance, qui la livre pieds et poings liés à ces sicaires. Quelque chose de cette terreur a passé dans les termes, singulièrement expressifs, qu’emploie, pour dépeindre ces scènes, un historien toulonnais qui en fut le témoin dans sa jeunesse. « Le club

  1. Archives de Toulon. — Correspondance du club ; lettre à M. Ricard, député de Toulon, du 21 novembre 1790 : « Nous venons d’apprendre que le directoire départemental du Var… vient d’écrire à l’Assemblée nationale pour obtenir l’interdiction du club de la ville de Toulon… »
  2. Lauvergne, p. 127 : « Les assassins forçaient les portes des royalistes et leur donnaient le choix entre une accolade au trophée et une corde de réverbère. »