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les brutes sanguinaires dont ils provoquent et célèbrent ensuite les exploits.


III

Au milieu d’un air épais, saturé des fortes senteurs du tabac et de l’ail, la foule amassée dans l’ancienne église de Saint-Jean s’agite et vocifère. Un homme, qui porte en sautoir une écharpe tricolore sur une soutane[1], monte à la tribune. Des applaudissemens éclatent : le club a reconnu un de ses orateurs favoris, le prêtre démagogue Simond, membre de la municipalité, mystique redoutable, qui concilie dans ses professions de foi le jacobinisme et l’évangile, Robespierre et Jésus. Un ci-devant capucin lui succède : ce défroqué jette à ses auditeurs un discours blasphématoire et athée[2] qui, sortant de cette bouche et proféré dans ce lieu, leur semble de plus haut goût encore et les fait frémir d’aise. Un trait commun à tous les membres de l’association est, en effet, une instinctive hostilité contre la religion. Elle s’est manifestée d’abord par des attitudes inconvenantes dans les églises, des rires, des coups de sifflet, des huées pendant les offices, au cours des sermons, sur le passage même du saint-sacrement. Ces faits, dénoncés dès novembre 1791, par des curés constitutionnels qui demandent à la municipalité de prendre les mesures nécessaires pour en prévenir le retour[3], étaient répréhensibles assurément, mais, en somme, d’une assez inoffensive polissonnerie. Malheureusement, la résistance du corps ecclésiastique à la constitution civile du clergé, l’imprudente et factieuse lettre pastorale où l’évêque de Grasse, réfugié à Nice au milieu des émigrés, recommande à ses diocésains de ne pas se soumettre aux nouvelles lois[4], ont exaspéré cette hostilité et semblent, dans une certaine mesure, la justifier. Des incidens plus graves se produisent alors. Des iconoclastes s’attaquent aux images des saints et les lacèrent[5],

  1. Henry, I, p 174.
  2. « Plusieurs prêtres avaient ainsi abondé dans les idées démagogiques et un ex-capucin avait osé, dans son délire, proférer, à la tribune du club, les plus grands blasphèmes contre la vérité de la religion et l’existence de Dieu. » — (Henry, I, p. 359.)
  3. Archives de Toulon. — Dossier intitulé : Scandales dans les églises ; lettres du curé de la paroisse de Sainte-Marie à la municipalité, en date des 24 novembre 1791 et 27 février 1792.
  4. Lauvergne, p. 86. — L’évêque de Vence avait fait de même. Ces mandemens avaient été répandus à plusieurs milliers d’exemplaires dans les deux diocèses.
  5. Ibid., p. 136.