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la plupart des villes de France[1]. Elle commença par recruter ses adhérens parmi les membres de cette bourgeoisie libérale, éclairée, qui voulait des réformes et qui accueillit avec enthousiasme la Révolution. La société populaire de Toulon fut « établie d’abord dans un but bien inoffensif par des hommes très honorables. » Telles avaient été, à Paris, les origines de la fameuse société des Amis de la constitution[2]. « Mais, — ajoute l’historien toulonnais à qui nous empruntons ces renseignemens, — elle se corrompit bientôt par ses relations avec les jacobins de Paris, et, sous le titre de club, devint le foyer de tous les crimes et le centre d’où partirent les actes atroces qui ensanglantèrent notre ville en marquant d’un signe d’horreur une partie de ses lanternes[3]. »

Quelques mois, en effet, se sont à peine écoulés, que la composition du club est déjà profondément modifiée. Les membres de la bourgeoisie, qui avaient formé d’abord le noyau de la société, s’écartent peu à peu, bientôt même se retirent tout à fait[4]. Leur place est prise par des hommes nouveaux, sortis pour la plupart des derniers rangs du peuple. « Qu’on se représente, dit un autre historien toulonnais, cette assemblée composée d’abord d’une centaine d’énergumènes, ensuite grossie de tous les oisifs qui ont soif et envie des biens que procurent seuls l’industrie et le travail ; en dernier lieu, augmentée par l’admission en masse des ouvriers du port, des matelots, des soldats, des forains sans aveu : et l’on aura une idée, faible encore, de ce que peut devenir à Toulon un véritable foyer d’anarchie[5]. » Ces hommes-là ne sont pas, comme les timides représentans de la bourgeoisie qu’ils remplacent, d’humeur à s’effrayer de la tournure que les choses ont prise. En précipitant son allure, la Révolution flatte la violence de leurs instincts. Bien plus, ils trouvent cette allure trop lente et voudraient l’accélérer encore. Ils sont gens d’ignorance robuste qui, ne sachant, ne soupçonnant même rien de l’infinie complexité des problèmes politiques ou sociaux, et se croyant néanmoins investis de la mission de les traiter, jugent que, pour les résoudre, les procédés les plus expéditifs sont les meilleurs : de même que rien ne vaut un coup de poing pour se débarrasser, dans la rue, de qui vous barre

  1. Taine estime qu’à la fin de 1791, il n’y avait pas moins d’un millier de sociétés populaires en France. Ce chiffre devait être de beaucoup dépassé par la suite. « Après la chute du trône, il y en aura presque autant que de communes (26,000), dit Rœderer. » (Révolution, II, p. 46.)
  2. Taine, Révolution, II, p. 56.
  3. Henry, I, p. 129.
  4. Ce phénomène est général : « Vers la fin de 1789, les gens modérés, occupés, rentrent au logis… La place publique appartient aux autres. » — (Taine, Révolution, I, p. 271.)
  5. Lauvergne, p. 106.