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sentiment de la science historique et ne manquent point de critique. On ne peut pas leur en vouloir de ne pas avoir devancé leur époque ; il suffit de reconnaître qu’ils sont de beaucoup supérieurs à leurs contemporains de l’Occident. S’ils ont des défauts, ils n’en sont pas toujours responsables ; beaucoup de ces défauts sont le fait du régime sous lequel ils vivaient.

Cependant, il ne faut pas croire que la littérature byzantine constitue un tout uniforme et unicolore. En dehors de la valeur individuelle qui met certains auteurs à part et au-dessus de leurs contemporains, la diversité des idées, des tendances, des goûts, se reflète de siècle en siècle dans les produits de cette littérature. Car les siècles se suivent sans toujours se ressembler, et l’empire d’Orient est loin d’avoir été frappé de l’immobilité qu’on lui a souvent attribuée.

Les variations même dans la langue employée par ces écrivains sont un indice des transformations qui se sont opérées. Pour se borner aux historiens, et sans sortir de la période qui embrasse le livre de M. Krumbacher, ceux du VIe et du VIIe siècle diffèrent de ceux du XIe et des siècles suivans. Chez les premiers, l’effort pour se rapprocher des anciens est moins apparent ; ils restent d’autant plus naturels qu’on ne les voit pas chercher à s’affranchir des élémens contemporains ; le style d’un Procope ou d’un Agathias dénote par lui-même une nature plus raffinée et un sentiment plus artistique. Ces qualités se retrouvent jusqu’au Xe siècle. Quand on passe à Anne Comnène ou à tel autre historien des derniers siècles de l’empire, l’artifice est plus manifeste. On sent que le purisme affecté de ces écrivains est comme une protestation ; à mesure que la langue vulgaire s’affirme, ils s’éloignent d’elle et s’attachent aux traditions classiques avec un redoublement d’ardeur, qui les mène jusqu’au pédantisme. Cet effort vers l’archaïsme atteint son plus haut point sous les Paléologue.

D’habitude, on confond dans un seul groupe les historiens et les chronographes byzantins, en ne les distinguant que selon l’époque dont chacun d’eux s’était occupé et pour laquelle il pouvait servir de source. M. Krumbacher observe, avec raison, qu’il y a entre eux une différence marquée, provenant de la classe sociale à laquelle ils appartenaient respectivement, et de celle à laquelle ils s’adressaient.

Les historiens, nous dit-il, s’adressaient à un cercle restreint ; aux lettrés, au haut clergé, au monde officiel, en un mot, à une espèce de mandarinat, qui cultivait les lettres classiques. Ils appartenaient eux-mêmes à cette élite qui visait à se tenir au-dessus et en dehors du vulgaire. Parmi ces écrivains, il y a eu des