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LE JOURNAL DE M^® DE SOMMEES. 31 Je me suis retournée, et j’ai vu que son frère aîné était avec elle. Il apportait le courrier. Il a remis, en riant, une lettre à miss Grey, qui, en voyant l’écriture et le timbre-poste, est devenue toute pâle et est restée interdite, regardant cette lettre et semblant ne pas oser l’ouvrir ; ses mains tremblaient, et elle était en proie à une émotion profonde; nous nous sommes éloignés. Au bout de quelques minutes elle est revenue à nous : mais quel changement de physionomie I Pour un instant elle a été vrai- ment belle ; son visage resplendissait. M. de Lostange s’est approché d’elle et lui a dit, très bas, un seul mot que j’ai entendu. — Engagea? — Yes, Il lui a tendu les deux mains où elle a mis les siennes, et a ajouté : — Je suis si heureux pour vous I si heureux 1 — Ohl je le sais, vous, cher, noble amil — Est-ce un secret? — Non. — Marguerite, embrasse miss Frances et félicite -la! tu de- vines... Je me suis approchée à mon tour, et bien loyalement, bien franchement, je l’ai félicitée. Elle l’a senti et m’a donné une éner- gique poignée de main ; puis s’adressant à M. de Lostange : — Savez-vous qu’il vient I — Pas possible I — Il est à Brindisi, il sera ici dans deux jours. — Vite une chambre à lui préparer ! — Quoi! vous voulez? — En doutiez-vous, miss Frances? — Et... vous viendrez pour le grand jour? — Comment j’irai! nous irons, n’est-ce pas, Perle? — Quel homme vous êtes I — Encore une fois, en doutiez-vous, miss Frances? je vais me commander un pantalon gris perle. — Et un habit bleu, mon frère ! — Certainement, et à boutons d’or même! Vraiment j’étais heureuse pour miss Grey : mes félicitations avaient été bien sincères, et elle s’en était aperçue. Je n’avais donc à ra’accuser d’aucun sentiment mesquin, et cependant leur joie à tous m’a fait mal. La fatigue d’une nuit passée à faire ou à penser des choses plus folles les unes que les autres, un sen- timent de misère morale dont je ne pouvais me déprendre, tout