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rivalité à peine assoupie, excitée par le souvenir d’un partage égal de revers et de victoires, et que le plus léger incident, une querelle de frontière, une chicane élevée sur une interprétation de texte, peut, d’un instant à l’autre, porter à l’état aigu. Vienne ce conflit, qu’il prévoit inévitable, il déclare d’avance auprès duquel des combattans il a marqué sa place, et pour une cause qu’il aura une fois embrassée, il n’est pas homme à former longtemps des vœux stériles.

C’est bien ainsi que l’Angleterre entend l’alliance qui lui est offerte et qu’elle a d’ailleurs toujours attendue et sollicitée. Pendant toute la guerre, il n’y a pas eu un jour où l’Angleterre n’ait travaillé à détacher Frédéric de la France, et à le faire passer dans le camp de ses adversaires : à plus d’une reprise, elle a pu croire y avoir réussi. De la part de Frédéric, ça été, avec les ministres et les agens anglais, une suite de rapports tantôt secrets, tantôt publics, mais qui, entretenus parfois à l’insu et au préjudice de ses propres alliés, ont eu le caractère d’une véritable trahison : si, à d’autres momens, ces relations ont paru se refroidir et même s’aigrir, ce n’est pas que Frédéric les ait jamais découragées ; au contraire, il a toujours tenu à garder l’oreille ouverte pour entendre ce qui lui viendrait de Londres. Mais c’est que le roi George, songeant plus au Hanovre qu’à l’Angleterre, ou cédant à une sotte antipathie personnelle, a entravé les vues politiques de ses ministres. La nation anglaise n’a jamais partagé ces mesquins dissentimens de famille : elle a toujours suivi avec une sympathie instinctive et prophétique les exploits du jeune héros, enfant de Luther comme elle, et qui semble destiné à raviver, pour l’honneur de la foi protestante, les glorieux souvenirs de Gustave-Adolphe et de Guillaume d’Orange. Vainement l’Autriche est-elle encore l’alliée officielle et la Prusse l’ennemi nominal : les victoires de Molwitz et de Kesselsdorf n’en sont pas moins saluées, avec une satisfaction peu déguisée, dans les cafés et les lieux publics de Londres. Et à toutes les étapes de la longue négociation qui vient de passer sous nos yeux, n’avons-nous pas toujours vu l’Angleterre prendre en main la cause de Frédéric, se prêter à toutes ses exigences, aux dépens, en dépit et malgré les protestations de l’Autriche ? N’est-ce pas elle enfin, qui, par un dernier acte d’autorité, met la conquête de la Silésie sous la garantie du nouveau droit public ? Ainsi l’alliance de la Prusse ne lui est pas encore proposée que déjà l’Angleterre s’empresse d’en fournir le gage, et ce témoignage anticipé de reconnaissance atteste assez les services qu’elle en attend, et qu’à un moment donné elle se croira en droit de réclamer.

Mais ces avances n’ont pu être faites ni ces avantages assurés