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mais d’une autre qui, pour un bon courtisan comme lui, avait plus d’autorité encore ; ce fut Mme de Pompadour qui, dès son premier entretien et sans le laisser parler, lui dit : — « N’allez pas revenir sans la paix, le roi ne veut plus de guerre. » — Avec Puisieulx, son explication, dont nous n’avons pas les détails, dut être un peu vive, car les étranges communications qu’il n’avait pas craint de faire à Kaunitz, par l’intermédiaire du secrétaire saxon, — rapportées, commentées et amplifiées par ce confident indiscret, — circulaient de Vienne à Dresde et formaient un véritable commérage diplomatique. On ne savait plus comment s’en tirer. Puisieulx était harcelé par le comte de Loos, qui venait lui demander avec surprise pourquoi le langage tenu par l’envoyé de France à Aix-la-Chapelle différait de celui qu’on lui faisait entendre à lui-même, à Versailles, et annonçait que sa cour faisait partir un envoyé exprès pour venir tirer la chose au clair. — « Dans quel galimatias sommes-nous fourrés ? s’écriait Puisieulx avec impatience : si on a trompé l’Autriche, comment la désabuser sans l’offenser, et si la chose se sait, comme cela ne peut manquer d’arriver, que va-t-on penser de nous à Londres et à Berlin ? » — Je ne sais comment Saint-Séverin réussit cette fois à présenter des explications rassurantes de sa conduite. Ce qu’il y a de certain, c’est que sous prétexte de lui donner un collaborateur plus expert que lui en écritures diplomatiques, — en réalité peut-être pour le surveiller et prévenir de nouveaux coups de tête, — on lui donna un adjoint qui dut repartir avec lui ; c’était le même La Porte du Theil, qui avait déjà figuré à la conférence de Bréda et qui dut être chargé de tenir la plume pour la rédaction du traité définitif. Les deux représentans reçurent un pouvoir collectif qui ne leur permettait pas d’agir, ni même de correspondre l’un sans l’autre, et le roi, en le leur remettant, leur dit d’un ton qui ne souffrait pas de réplique : « Allez, messieurs, et finissez vite[1]. »

Une instruction si impérative ne pouvait manquer d’être obéie : et dans la situation dominante qu’occupait la France et dont elle profitait si mal, l’effet en était certain. D’autant plus qu’au même moment le gouvernement anglais, éprouvant la même impatience d’un retard qui remettait tout en question, recourait pour y mettre un terme au même moyen que le ministre français. Aussi peu content de Sandwich qu’on l’était, sans le dire, de Saint-Séverin à Versailles,

  1. Campardon : Mme de Pompadour. Puisieulx à Saint-Séverin, 26 juillet, 25 août, 13 septembre 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Aucun témoignage direct n’existe des entretiens qui durent être échangés verbalement entre Puisieulx et Saint-Séverin au sujet de Kauderbach, j’ai dû emprunter les détails que j’ai placés ici à des dépêches adressées à Saint-Séverin après son retour à Aix-la-Chapelle et qui font clairement allusion à ce qui s’était passé dans ses conversations avec son ministre.