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de fiel était dédié au maréchal de Saxe, et qu’il y avait toute raison de croire qu’il n’avait pas été le dernier à en prendre connaissance. Maurice, en effet, revenu de Flandre, que ses troupes occupaient encore, ne se gênait pas pour dire très haut qu’on l’avait arrêté en pleine course vers de nouveaux triomphes, que si on l’avait laissé suivre son plan quelques semaines de plus, il menait l’armée française tambour battant jusqu’à Nimègue, et qu’il ne resterait plus rien qu’un souvenir de la république qui avait bravé Louis XIV et de la patrie de Guillaume d’Orange[1]. Il est vrai qu’il lui échappait de laisser percer des regrets personnels qui ôtaient quelque valeur à ses appréciations. — « Voilà la paix, disait-il, nous allons tomber dans l’oubli : nous sommes comme les manteaux, on ne songe à nous que pendant la pluie. »

Mais l’opinion fut bien plus émue encore, quand on vit que rien ne se terminait, et qu’on entendit même dire que cette négociation, déjà si peu attrayante, était menacée de ne pas aboutir. Ce ne turent plus seulement des murmures, mais une clameur générale. En vérité, même au prix de tant d’efforts et après tant de succès, ne pouvoir pas même compter sur un peu de repos ! Avoir perdu un temps précieux, laisser échapper une occasion qui ne reviendrait peut-être plus ; en tout cas, effacer par la faiblesse de la politique l’impression de terreur causée par nos armes, la déception était pénible, c’était la preuve chez les gouvernans d’une incapacité notoire.

Puisieulx, tout en faisant bonne contenance, ne laissait pas d’être ému : « Les libelles contre les préliminaires, écrivait-il à Belle-Isle, courent les cafés de Londres et de Paris, on fronde autant le ministère anglais que je le suis ici : cette différence d’opinion est une preuve des préventions de la critique des hommes. L’ouvrage d’Aix-la-Chapelle a été plus applaudi d’abord qu’il ne méritait et on le critique trop aujourd’hui. J’ai reçu, grâce à Dieu, la louange et le blâme avec la même indifférence parce que j’ai cru voir les choses telles qu’elles sont… Il semblerait que les alliés voudraient donner des interprétations forcées aux préliminaires : si cela est, nous aurons bientôt repris les armes. J’espère cependant qu’ils y feront réflexion et que tout s’apaisera. Les peuples qui doivent être comptés pour quelque chose verraient avec douleur les espérances qu’ils ont conçues s’évanouir[2]. »

Les peuples, en effet, auraient été très déçus si, prenant au sérieux les saillies frondeuses de quelques critiques, on les eût

  1. Chambrier à Frédéric, 8 juillet 1748. — (Ministère des affaires étrangères.)
  2. Puisieulx à Belle-Isle, 17 juin 1718. — (Ministère de la guerre ; série supplémentaire.)