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en fit des remercîmens très froids sur un ton d’incrédulité-presque ironique ; — « Les soupçons, écrit Valori, trouvent ici un accès facile, et pour peu qu’ils y soient aidés, ils y prennent racine. Le prince de Prusse (le frère du roi), interrogé par le maréchal de Schmettau, a dit qu’on avait trouvé la France très refroidie sur cet article, depuis que le roi, son frère, avait refusé d’entrer dans aucune mesure pour traverser la marche des Russes, et que, soit pour s’en venger, soit pour quelque autre intérêt, elle se mettait médiocrement en peine de lui procurer cette garantie et eût été charmée d’en abandonner le projet, moyennant quelque intérêt réversible à elle-même. Je ne serais pas étonné que ce fût le sentiment du roi de Prusse… il est assez dans son caractère de chercher des raisons pour diminuer l’obligation qu’il a au roi et tendre à faire partager le service avec d’autres. » — « Je ne doute pas, écrivait en effet Frédéric à Chambrier, que si la France avait pu faire des convenances à son gré, elle ne m’eût sacrifié pour se les procurer… Les sentimens que M. de Puisieulx vous exprime sont admirables, et de nature qu’il ne me resterait rien à désirer à leur égard. Aussi mon intention est-elle que vous le combliez de complimens de ma part, et que vous le payiez de la même monnaie que celle qu’il vous a donnée[1]. »

Ainsi délié des obligations qui lui pesaient, il se livre avec une véritable effusion de joie à l’espérance d’une nouvelle amitié bien plus conforme à ses goûts ; et il fait part de cette espérance avec une précipitation peu réfléchie à ceux qui représentent ses intérêts dans les lieux où ils sont le plus sérieusement engagés. A Mardefeld, son ministre à Saint-Pétersbourg : « Quoique j’aie, lui écrit-il, toutes les apparences par devers moi de me voir sur un très bon pied avec l’Angleterre, et qu’ainsi je n’aurais plus grand’ chose à appréhender de la Russie, je ne vous en recommande pas moins pour cela de vous conduire prudemment là où vous êtes. » — Avec Podewils, son ministre à Vienne, il est plus net encore : — « Tout ce que le sieur Robinson (le ministre anglais à Vienne) peut vous dire ne signifie autant que rien, parce qu’il n’est pas au fait des affaires. Vous pouvez compter, tout au contraire, fort et ferme sur ce que je vous écris, me revenant de la part du chevalier Legge, qui est instruit à tous égards du vrai état des affaires. Comme il paraît que vous ne savez pas proprement ce qui se traite à Vienne, je veux bien vous informer, moi, que le système de l’Europe s’est déjà changé effectivement en sa plus grande partie, que je me

  1. Valori à Puisieulx, 25 mai 1718. (Correspondance de Prusse. — Ministère, des affaires étrangères.) — Frédéric à Chambrier, 20 mai, 11 juin 1748. — Pol. Corr., t. VI, p. 118-186.