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moins pendant les dernières années, de tous les hasards de la guerre ;

Il est pourtant vrai que Frédéric : qui, de Merlin, suivait avec sa vigilance accoutumée1 toutes les phases de la négociation, s’émut vivement de ce temps d’arrêt, et que peut-être à aucune époque de sa vie on ne le vit en proie à une aussi grande agitation que pendant ces mois d’attente. C’est qu’il sentait que tout le système fédéral de l’Europe était remis en question dans un sens encore mal défini, et qu’il se demandait avec anxiété à quoi il devait dès lors se préparer, quelles amitiés il avait à rompre, quelles inimitiés à braver, et sur quels nouveaux auxiliaires il pouvait compter.

Au premier moment, le fait même de la paix, ou tout au moins les conditions dans lesquelles elle paraissait prête à être conclue, l’avaient comblé d’une satisfaction sans mélange. Rien ne pouvait mieux lui convenir qu’une rupture ouverte entre l’Angleterre et l’Autriche. Il sentait que, privée de cette amitié précieuse, l’Angleterre devait naturellement chercher à la remplacer. C’était du côté de la Prusse que les liens de parenté des deux familles royales et la communauté d’origine et de religion des deux peuples devaient tourner ses regards. Quant à lui, tout son désir, je l’ai dit, était depuis longtemps de trouver à Londres un appui qu’il pût substituer avec avantage à cette tutelle de la France, dont il avait tour à tour, avec une égale impatience, porté le poids et secoué le joug, mais dont il savait que le patriotisme germanique lui savait très mauvais gré. Par un singulier hasard, il avait eu, justement la veille du jour où la signature des préliminaires fut connue à Berlin, l’occasion de s’exprimer à cet égard avec une franchise inattendue. Il donnait une première audience ce jour-là au ministre anglais, sir John Legge, que le roi George, on l’a vu, s’était enfin décidé, bien à regret, et après bien des hésitations, à lui envoyer. Bien que la démarche de l’oncle ne fût encore qu’à moitié cordiale, le cabinet anglais avait cru pouvoir en profiter pour faire parvenir au neveu les plus chaudes protestations d’amitié. Frédéric les reçut de la meilleure grâce, comme s’il ne doutait pas de leur sincérité, et se mit de lui-même à exposer sous une forme presque dogmatique ses prévisions et ses desseins d’avenir.

« Dès que je suis arrivé à Potsdam, écrivait l’agent anglais, il m’a fait admettre immédiatement et asseoir auprès de lui et commença tout de suite à me dire qu’il était très sensible aux bons sentimens du roi de la Grande-Bretagne à son égard. Il se défendit alors de tout engagement avec la France, et de tout désir d’en contracter de nouveaux, et donna de très justes raisons de cette opinion. Je me souviens, en particulier, qu’il insista sur ce point, que la France était à une trop grande distance de lui pour lui