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variait tous les jours, et qu’il retournait à La Haye, ne voulant plus se mêler de rien. On peut juger quelle impression produisait, dans les cercles bruyans de la Hollande, l’éclat de cette retraite précipitée. Chez Sandwich, très piqué du reproche qui lui était fait, la fierté du pair d’Angleterre se montra plus résistante : il n’hésita pas à en appeler du Hanovre à Londres, et du premier ministre au chef de la majorité parlementaire. Il écrivit directement à Pelham pour le prévenir que les instructions qu’il recevait conduisaient tout droit à la reprise des hostilités, attendu que des ménagemens qui paraîtraient dictés par la faiblesse n’amèneraient certainement pas l’orgueil de l’Autriche à capitulation. Il savait à qui il parlait, car rien ne pouvait moins convenir à celui qui avait, à faire dans le parlement aux critiques souvent amères de l’opposition, que la perspective d’y reparaître avec de nouveaux impôts à proposer et de nouveaux sacrifices à demander. Aussi vit-on s’engager entre les deux frères Pelham une correspondance où les formes habituelles de l’affection dissimulaient mal un fond d’aigreur. L’un réclamait la paix à tout prix, l’autre insistait sur les précautions à prendre en vue de l’avenir, avant de s’engager à fond dans une voie nouvelle. Un peu plus, et de cette querelle de famille pouvait sortir la dissolution du ministère. Pour le coup, le désarroi était au comble, et si Saint-Séverin n’avait voulu que jeter partout la confusion, il pouvait s’applaudir d’y avoir réussi, peut-être au-delà de son attente. C’est ce dont le duc de Newcastle se rendait compte avec une perspicacité qui lui fait honneur. « Ne voyez-vous pas, écrivait-il à Sandwich, la joie que vous causez à Saint-Séverin ? Il a réussi à se mettre bien des deux côtés, et il sait le parti qu’il en peut tirer ; s’il peut nous faire choquer les uns contre les autres (knock our heads together), il n’y manquera pas, et il est en bon chemin d’y parvenir[1]. »


II

Il était naturel que les puissances engagées dans la dernière lutte et menacées d’avoir de nouveau à en courir les chances vissent avec un trouble profond cet échec inattendu d’une grande affaire qu’elles croyaient terminée. Mais il paraît moins facile de comprendre au premier abord par quelle raison cette inquiétude fut presque aussi vivement ressentie par un adroit politique qui aurait dû y rester indifférent, puisqu’il avait su prudemment se tenir à l’écart, au

  1. Tercier à Puisieulx, 19 août 1748. (Conférence de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères.) — Pelham administration, t. II, p. 7. — Béer. p. 64-102-105.