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ne pas le tenir. Une autre recommandation qui n’est pas faite à Kaunitz avec moins d’insistance, c’est de n’accepter à aucun prix, en échange des réclamations de divers genres qu’il aura à présenter, les compensations pécuniaires que l’Angleterre pourrait lui offrir. — « Il vaut mieux, s’écrie-t-elle, se fier désormais à nos propres forces que de mendier l’argent étranger et de rester ainsi dans une éternelle (dépendance. Notre maison n’a que trop éprouvé la réalité du proverbe : Fistula dulce canit. Les subsides d’Angleterre sont estimés dix fois plus qu’ils ne valent. Pour suppléer aux engagemens qu’elle n’a jamais remplis, nous avons dépensé bien plus que ce qu’elle nous a donné pendant quelques années, malgré l’éclat qu’elle a mis à en faire, aux yeux du public, un odieux étalage[1]. »

En exécution de ces instructions, Kaunitz vint déclarer à Saint-Séverin qu’il recevait de l’impératrice les pouvoirs nécessaires pour accéder aux préliminaires, mais seulement en ce qui touchait les différends à régler entre elle et les États avec qui elle était en guerre. Cette adhésion limitée excluait par là même les clauses qui n’intéressaient que le roi de Sardaigne, puisqu’il n’avait pas cessé d’être son allié nominal, et le roi de Prusse, avec qui elle était en paix depuis le traité de Dresde. Quant à ce dernier traité, l’ayant déjà souscrit et ne songeant pas à le violer, elle ne voyait pas par quel motif elle aurait à y donner une adhésion nouvelle. Pourtant, ce traité lui-même, ajoutait Kaunitz toujours au nom de sa souveraine, comme toutes les conventions du monde, comportait des obligations réciproques. En même temps que le roi de Prusse avait reçu la cession de la Silésie, il avait dû s’engager à respecter tout le reste des possessions héréditaires de la maison d’Autriche. L’une de ces obligations n’étant pas moins sacrée que l’autre, l’impératrice ne pouvait croire que, contrairement à toutes les lois humaines et divines, les puissances signataires des préliminaires eussent le dessein de les séparer, et n’eussent pas entendu donner à toutes deux une égale confirmation. Que ce point fût bien éclairci, qu’il fût clairement exprimé, que la garantie donnée à la Prusse pour sa conquête était assurée également à l’Autriche pour tout ce qui restait de ses domaines patrimoniaux, et elle consentirait que cet ensemble des dispositions corrélatives prît place dans les actes qui établiraient la paix générale[2].

Une déclaration, posant ces deux réserves, était déjà préparée

  1. Marie-Thérèse à Kaunitz, 14 mai 1748. (Archives de Vienne.) — Je n’ai pu découvrir le sens exact du proverbe auquel l’impératrice fait une si singulière allusion. Ce doit être le commencement d’un vers connu dont la signification était : qu’il ne faut pas se laisser séduire par les doux sons de la flûte.
  2. D’Arneth, t. III, p. 369-370.