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avoir envoyé à son fidèle agent sa pleine approbation de sa conduite, le rassurant ainsi contre les reproches qu’il se faisait à lui-même : — « Ne perds point courage, lui disait-elle, l’intérêt supérieur de notre service te commande de reprendre possession de toi-même. » — Elle convenait alors qu’il n’y avait plus lieu de se fier « pas plus aux ennemis jusqu’ici irréconciliables de notre maison qu’à ceux qui s’appelaient nos alliés. » Aussi elle avait appris avec plaisir que, sous le coup d’une première impression, il s’était exprimé avec vivacité, aussi bien devant lord Sandwich que devant Saint-Séverin, sur l’indignité de leur conduite, et elle comprenait qu’il eût été blessé dans l’âme par les procédés faux et indécens du ministre français. « Il est toujours utile, disait-elle, de se montrer sensible à un affront et surtout avec l’Angleterre qui, ainsi que l’atteste l’expérience des temps anciens et modernes, est toujours prompte à assouvir l’impétuosité de ses appétits (Nachdem sie ihre ungestummentheit sälliget hat). » Mais ce n’était pas une raison pour rompre en visière à ses collègues et briser tous les rapports avec eux. Il ne faut se souvenir des torts déjà ressentis « que pour empêcher qu’en nous croyant indifférens, on ne continue à nous sacrifier. »

Entrant alors elle-même dans la discussion détaillée des articles préliminaires, elle distingue ceux qu’elle pourrait accepter ou sur lesquels elle peut, au moins, passer condamnation, ceux, au contraire, qui la blessent au vif et qu’elle trouve autant que jamais intolérables. Dans la première classe, elle range naturellement tout ce qui intéresse la France et peut servir à ménager son appui, comme l’établissement de l’infant en Italie et les satisfactions données à la république de Gênes. La seconde comprend, est-il besoin de le redire ? les faveurs faites, les garanties accordées aux deux grandeurs rivales et détestées que la guerre a fait accroître à ses dépens : à Charles Emmanuel et à Frédéric. Puisque la France a fait la faute de laisser inscrire ces concessions maudites dans l’acte qu’elle a signé, la princesse ne lui demande plus de s’y opposer directement, mais seulement de s’en désintéresser, de ne pas s’attacher à les maintenir dans l’acte définitif, et de montrer par cette indifférence qu’en tout cas on ne peut compter sur elle pour en assurer l’exécution. C’est de cette indifférence (gleichgültigkeit) de la France que Kaunitz doit se procurer la certitude, et c’est le sujet sur lequel il ne faut cette fois tomber dans aucune méprise. Ainsi, avec cette ténacité peu raisonnée qui est souvent un des traits du caractère féminin, le seul qu’on puisse relever dans cette âme virile, c’est toujours sur les mêmes points fixes que sa pensée est tendue, et le double engagement qu’elle n’a pu empêcher la France de prendre, elle veut, au moins, qu’on lui promette de