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avantage, lait avancer sa cavalerie ; mais il est pris de flanc par le régiment de Valois-infanterie, qui accourt au travers des jardins, et chargé de front par M. le Prince, qui conduit deux ou trois escadrons du bas de la rue. La panique saisit les chevau-légers du Roi. L’épée à la main, avec ses officiers, Turenne eut grand’peine à les rallier, à les maintenir assez longtemps pour dégager son infanterie, qu’il ramena jusque vers le haut du grand chemin (barrière du Trône). Là, il prend position auprès de quelques moulins qui couronnent ce mamelon. Trois pièces et quelques compagnies (Uxelles et Carignan) viennent de le rejoindre : l’artillerie est braquée sur le cours, qu’elle peut battre jusqu’au coude près de l’abbaye ; le détachement d’infanterie occupe les premières maisons du faubourg, et reliera le maréchal avec la troisième attaque, qui se prépare sur sa gauche. Réussira-t-elle mieux que les deux autres ?

Les troupes du duc de Navailles, — « Picardie, Plessis-Praslin, Douglas » et quelques escadrons, — avaient eu, pour arriver au point initial, plus de chemin à parcourir que les colonnes de droite et du centre. Elles enlevèrent assez facilement une première barricade sur le chemin de Charenton, mais furent arrêtées plus longtemps au carrefour près des jardins Rambouillet, et surtout à la maison de Reuilly. Le régiment de Condé, envoyé par M. le Prince, venait d’occuper cette position essentielle, clé des communications, et s’y maintint victorieusement tout le jour. Tavannes défendit le carrefour de son mieux avec ses cavaliers démontés ; obligé de le céder aux mousquetaires exercés et bien dirigés de « Picardie, » il se sert habilement des maisons crénelées, des barricades successives, et recule d’obstacle eh obstacle, gagnant du temps comme il en a reçu l’ordre. Par le cours et les jardins de l’abbaye, M. le Prince amène « Bourgogne, » son meilleur régiment, qu’il tenait en grande réserve, et qu’il va faire donner, selon sa pratique, dans le flanc de l’ennemi.

Tandis que cette troupe d’élite marchait au secours de Tavannes, M. de Beaufort sortait de la porte Saint-Antoine avec quelques cavaliers qu’il avait décidés à le suivre. Arrivé à la halle, où sont réunis les officiers sans troupes et les volontaires, il entend porter aux nues les exploits de M. le Prince ; sa vanité se gonfle ; il veut qu’on parle aussi de lui. Le feu est plus vif que jamais dans la rue de Charenton ; Condé n’est pas là ; voilà une belle occasion de faire le général. Que ne chargeons-nous ! crie Beaufort à Nemours, La Rochefoucauld et autres, qui déjà rongeaient leur frein, et tous ces vaillans étourdis descendent la rue au galop. Bientôt on tire sur eux de toutes les fenêtres ; ils laissent leurs chevaux, courent