Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/249

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contraire, croyait avoir à se plaindre, c’était d’avoir été sacrifié à l’autre, et il n’en était aucun, qui ne se vit bientôt réduit par là à reconnaître, quel que fût son dépit ou son regret, que l’isolement le condamnait à l’impuissance.

Le premier à se rendre compte de cette faiblesse de situation, ce fut le roi de Sardaigne. Les préliminaires lui reprenaient le marquisat de Final et tous les points du littoral de la Méditerranée qu’il avait enlevés à la république de Gênes. C’était un grand désappointement, car il perdait ainsi l’espoir de garder une communication directe de toute une partie de ses États avec la mer, à laquelle il attachait un grand prix. De plus, il prenait en très mauvaise part qu’on eût compris, dans l’établissement de l’infant le duché de Plaisance qui faisait partie des concessions à lui faites, par le traité de Worms, et dont ses troupes étaient restées en possession depuis la bataille livrée sous les murs, mêmes de la ville. Il jetait donc d’abord feu et flamme contre l’Angleterre, qui trompait sa confiance. Mais à qui aurait-il été conter ses doléances ? A l’Espagne qui détenait son patrimoine héréditaire de Savoie, et qui demandait hautement à n’en pas sortir ? A l’Autriche qui n’annonçait pas, avec moins d’éclat, la prétention, de tenir le traité de Worms tout entier pour non avenu, et le sommait ainsi d’avoir à évacuer non-seulement la cité de Plaisance, mais toute la partie du Milanais bordant le cours supérieur du Pô dont ce traité lui avait fait don ? C’était, au contraire, la possession de ces belles provinces dont les préliminaires lui assuraient la confirmation, et un grand pas était ainsi fait vers cette domination suprême de la Haute-Italie qui était l’ambition héréditaire de sa race. C’était là un pis-aller dont on pouvait se contenter. Le raisonnement amena donc assez vite la résignation, et le mois de mai n’était pas écoulé que le comte de Chavannes recevait l’instruction d’adhérer aux préliminaires.

Il fallait bien s’attendre que l’Espagne, d’humeur moins endurante, se trouvant peut-être encore moins bien traitée, fut plus difficile à réconcilier. Puisieulx se trompait pourtant, quand il se préparait à voir éclater à Madrid un vacarme épouvantable. Ce fut, au contraire, par un silence de mort régnant dans l’entourage royal que l’arrivée d’un courrier apportant de graves nouvelles, fut annoncée au public, et quand l’ambassadeur Vauréal dut se rendre au palais, portant le texte des préliminaires que l’envoyé l’Espagne avait déjà transmis, il n’eut point à subir ces emportemens de passion dont il avait dû, du temps de Philippe et d’Elisabeth, braver les orages. Mais ce fut de la part du débile Ferdinand, qui en tout temps parlait peu, et de la reine, dont le naturel était également concentré, un accueil glacial : puis