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protestations véhémentes et ironiques de toutes les oppositions des Irlandais, des libéraux, de sir William Harcourt, et ne paraît pas même avoir satisfait les unionistes alliés du ministère pas plus que beaucoup de conservateurs. On s’est demandé si ce que proposait le ministère était sérieux ou si ce n’était pas tout simplement un expédient, imaginé pour embrouiller une question qu’on ne veut pas résoudre. Le projet de M. Balfour, qui doit être discuté dans trois jours, ne paraît pas destiné à une brillante fortune ; il peut être l’occasion d’une épreuve critique pour le ministère. Le résultat le plus clair qu’il aura eu sera-peut-être d’avoir hâté cette dissolution que lord Salisbury tient en réserve et à laquelle tout le monde s’attend. On en est là aujourd’hui. Les libéraux multiplient leurs réunions non-seulement à Londres, mais dans les provinces, pour conquérir les populations rurales ; ils ont déjà ouvert la campagne, et nul doute que, si le signal de la lutte était donné, M. Gladstone, qui après son voyage dans le Midi de la France rentre en Angleterre, ne surmontât les fatigues de l’âge pour prendre le commandement de l’action. Aux réunions, aux mouvemens des libéraux, les conservateurs, à leur tour, opposent leurs propres réunions, leurs manifestations, et les unionistes qui sont les plus menacés ne sont pas les moins actifs. On se serre pour la bataille qui sera chaude, dont l’issue peut être singulièrement décisive pour la politique intérieure comme pour la politique extérieure de l’Angleterre.

S’il est, après l’Angleterre, un pays de l’Europe où la vie publique se déploie dans toute sa liberté, dans toute son ampleur, c’est la Belgique, moins grande certes par ses dimensions que l’empire anglais, aussi libérale par ses institutions, par ses mœurs. La Belgique le prouve bien aujourd’hui par la hardiesse, la confiance ou peut-être la témérité avec laquelle elle s’est engagée dans ce qu’on peut bien appeler une aventure, l’aventure de la révision constitutionnelle. Ce qui sortira de ce mouvement assez confus, on ne peut certes le dire, puisqu’on en est toujours aux préliminaires, puisque les chambres de Bruxelles en sont encore à délibérer sur des projets qui se succèdent, se transforment, s’étendent sans être arrivés jusqu’à une forme bien précise et bien saisissable. Ce qu’il y a de sûr provisoirement, c’est que les chambres belges sont à peu près d’accord pour admettre la nécessité d’une révision, même d’une révision des plus larges, qu’elles vont avoir à décider la convocation d’une assemblée constituante, à laquelle elles transmettront sans doute le programme de leurs vœux, — et ici on entre évidemment dans l’inconnu. Ce n’est point, si l’on veut, une entreprise au-dessus de la raison et des forces d’un peuple libre qui sait se contenir. L’expérience ne reste pas moins, il faut l’avouer, singulièrement périlleuse : elle l’est surtout par l’extension qu’on lui a donnée, par le caractère indéfini qu’on lui a laissé prendre,