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courte apparition, remettant en présence lord Kimberley et lord Salisbury dans la chambre des pairs, M. John Morley et M. Chamberlain dans la chambre des communes. C’est moins une bataille sérieuse, qu’une escarmouche entre des partis qui n’ont pas l’air d’être bien pressés d’en finir. Ni les uns, ni les autres, ni les libéraux, ni les conservateurs ne semblent bien impatiens d’en venir à une explication décisive, sur la politique anglaise dans la vallée du Nil. Lord Salisbury garde cette question d’Egypte comme une arme, comme un moyen de popularité à la veille des élections ; il n’avoue pas la pensée d’une occupation permanente, — il refuse de fixer un terme à cette occupation qui par le fait reste indéfinie : c’est le fond de tous ses discours à la chambre des lords comme l’autre jour à Exeter. Les libéraux, de leur côté, en combattant les subterfuges ministériels, en se prononçant pour le principe de l’évacuation de l’Egypte, évitent de trop s’engager, de fixer le jour et l’heure de cette évacuation. Ils semblent tous d’autant plus réservés que, pour le moment, au début d’un nouveau règne au Caire, il y a peut-être quelque difficulté, quelque nuage. On ne voit pas encore bien clair dans cette situation nouvelle. On a eu beau faire exprimer par la reine la confiance que la politique « habile » de Tewfik sera suivie par son fils : on n’en est pas sûr. Le jeune Abbas-Pacha, placé entre le protectorat anglais et le commissaire ottoman Mouktar-Pacha, entre toutes les influences qui l’entourent, n’est peut-être pas aussi soumis qu’on l’aurait cru : il aurait, dit-on, des mouvemens d’humeur indépendante. De plus, si le jeune Abbas-Pacha est par le fait le khédive de l’Egypte, il n’est pas allé encore à Constantinople recevoir des mains du sultan son firman d’investiture, remplir ses devoirs de vassalité. C’est à Constantinople que son firman l’attend, c’est là qu’il doit se rendre, et les Anglais sont visiblement peu favorables à un voyage de cérémonie qui, en attestant, en rehaussant la suzeraineté de la Porte, peut jeter quelque ombre sur la réalité du protectorat britannique.

Qu’en sera-t-il de ce voyage du jeune vice-roi du Nil à Constantinople ? Comment va s’engager réellement ce nouveau règne d’un prince adolescent qui a déjà paru avoir quelques velléités d’indépendance ? Par quel artifice lord Salisbury réussira-t-il à justifier et à prolonger une occupation mal définie, en ramenant le jeune Abbas-Pacha à la politique « habile, » c’est-à-dire docile de son père Tewfik ? Que feraient les libéraux eux-mêmes, s’ils arrivaient au pouvoir, pour préparer une évacuation qu’ils croient juste et nécessaire, qu’ils promettent, sans vouloir la précipiter cependant ? Voilà bien des obscurités autour d’une question qui a certes son importance, qui reviendra plus d’une fois, qui a été à peine effleurée à ce début de session où tout semble se concentrer dans les affaires intérieures, dans la lutte croissante des partis, dans l’éventualité d’une dissolution parlementaire.