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C’est à peu près le même ministère, — avec cette différence toutefois qu’il y a un nouveau président du conseil, M. Loubet, et un ministre de l’intérieur de moins, M. Constans. A dire toute la vérité, cette élimination de M. Constans paraît même être l’unique nouveauté, et comme le trait caractéristique du ministère qui se forme.

Est-ce fini, cette fois ? Cela semble fini. M. le président de la république a ses conseillers, avec lesquels il n’a pas même à faire connaissance. Quels que soient les ministres anciens ou nouveaux, cependant ce n’est pas tout ; il y a évidemment quelque chose de plus dans ces derniers incidens. Les hommes sont réunis : reste la question qui est au fond même de la crise, la question de direction, de conduite, la question du choix entre toutes ces politiques qui se rencontrent et se heurtent dans des luttes dont la paix et l’intérêt de la Fiance sont toujours l’enjeu.

A parler franchement ; si on le voulait, si on se décidait à s’inspirer de l’intérêt du pays et de l’instinct public au lieu de tout subordonner à des solidarités de partis, la solution ne serait ni impossible ni peut-être difficile. Elle se dégage de la situation même, de tout un ensemble de choses. Que les radicaux, plus bruyans que nombreux, s’efforcent d’imposer leur politique de violence et de guerre religieuse, d’identifier la république avec leurs passions, ils font leur métier de sectaires ; mais qu’a gagné le dernier ministère, que peut gagner le ministère nouveau à paraître partager ou ménager leurs fanatismes ? Ils ne sont, en définitive, qu’une minorité, même dans cette chambre pourtant si accessible aux préjugés les plus vulgaires. Tous ces votes qui se sont succédé l’autre jour, ils rendent témoignage contre leurs prétentions. La chambre a voté contre l’ordre du jour radical qui réclamait la guerre aux influences religieuses, sous le nom de cléricalisme. Elle n’a pas même accepté l’ordre du jour plus mitigé par lequel le ministère a cru se sauver. Elle a d’elle-même rejeté l’urgence pour la loi sur les associations. En d’autres termes, elle s’est prononcée contre la politique de guerre, de rupture, de séparation de l’État et de l’Église. Et ce sentiment qui s’est fait jour dans la chambre, il est bien autrement vivace, bien autrement profond dans le pays. S’il y a une chose évidente, en effet, c’est que la masse française, sans être plus cléricale qu’elle ne l’a jamais été, est excédée, fatiguée de toutes ces querelles religieuses, de ces vexations de parti, qu’elle ne veut que la paix, la tranquille pratique de son culte et de ses croyances. Quel moment choisirait-on enfin pour céder aux excitations d’un radicalisme agressif ? M. de Freycinet, dans la première et la plus habile partie de son discours, l’a dit justement l’autre jour. C’est le moment « où il y a au Vatican un pontife à l’esprit très élevé qui comprend les nécessités de son temps, » qui vient de faire la dernière encyclique au clergé de France. Oh ! assurément, on n’attend pas de Léon XIII qu’il cesse de parler en pape,