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poursuivre la politique républicaine, de défendre les droits de l’État, et que le gouvernement, pour se tirer d’embarras, se hâte d’accepter. L’ordre du jour Trouillot, à son tour, est repoussé comme le premier, et avec lui c’est le ministère qui est vaincu ! — Troisième et dernier vote enfin : la chambre, d’un seul coup, sans plus s’expliquer, repousse spontanément et sommairement l’urgence qui vient de déchaîner cette petite tempête parlementaire. La moralité la plus évidente de cette série de votes, de ces confusions, c’est que si, dès le début, M. le président du conseil, après avoir parlé comme il l’avait fait, avait demandé résolument à la chambre de rejeter l’urgence, il aurait été suivi ; c’est que le ministère n’est tombé que pour n’avoir pas soutenu sa propre politique, pour s’être rallié à un ordre du jour qui ne disait rien, qui n’a eu d’autre résultat que de réunir contre lui l’extrême gauche et la droite, les radicaux, qu’il n’a pas pu désarmer, et les conservateurs, qu’il n’a pas su rassurer. Il aurait pu vraisemblablement, avec un peu de résolution, échapper à sa mésaventure ; il n’a pas osé, il a voulu tout ménager. Il n’a pas été plus avancé, — et la situation n’en est pas beaucoup plus claire aujourd’hui pour ceux qui ont à refaire un ministère.

Au fond, telle qu’elle est, cette crise nouvelle qui vient de s’ouvrir assez brusquement, dans la paix universelle du pays, presque dans l’indifférence publique, a sûrement son importance et pourrait soulever bien des questions. — Quel en serait le dénoûment ? comment refaire un cabinet, ou rajuster les morceaux d’un cabinet disloqué ? C’était le plus pressé, ce n’était pas le plus facile. M. le président de la république s’est livré dix jours durant à ce travail de patience, multipliant les consultations et les enquêtes, appelant tout le monde, écoutant tout le monde, les ministres d’hier et ceux qui ne demandent pas mieux que de le devenir, passant la revue des candidats. Il a essayé des combinaisons variées. Il a chargé M. Rouvier, puis le ministre de l’instruction publique, M. Bourgeois, de reconstruire un cabinet : ni l’un ni l’autre n’ont réussi. En désespoir de cause, M. le président de la république s’est adressé à un sénateur de la Drôme, jadis ministre, républicain de poids au Luxembourg, M. Loubet, qui a accepté gaillardement le mandat, et après ces divers essais, il est à peu près sûr que, depuis le premier jour, l’idée invariable a été de refaire l’ancien ministère. M. de Freycinet, dès le début, s’y était visiblement prêté, à la condition de n’avoir plus la présidence du conseil, c’est-à-dire la responsabilité de la politique, de se retrancher dans son ministère de la guerre. M. Ribot n’avait pas refusé de rester aux affaires étrangères. M. Bourgeois, M. Rouvier gardaient toujours leur place à l’instruction publique et aux finances, avec quelques autres de leurs collègues, M. Develle et M. Jules Roche. On y a ajouté deux ou trois noms nouveaux, un jeune député distingué, M. Godefroy Cavaignac.