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conciliation, — un autre jour laissant tout espérer aux radicaux, s’ils sont un peu pressans, ou leur donnant le plus compromettant des gages, par ce projet sur les associations, qui est une violation de toutes les libertés, un arbitraire organisé, une menace pour toutes les communautés religieuses. Comment cela aurait-il pu durer ?

De fait, quand on en est là, on n’est pas loin du dénoûment ; on est à la merci d’une pression de circonstance, d’un incident de discussion, d’un hasard, — et cette fois le hasard s’est appelé M. Hubbard ! C’est M. Hubbard qui, de sa main légère, a mis le feu aux poudres, en demandant tout simplement l’urgence pour cette loi sur les associations qui a provoqué un soulèvement universel. Proposer l’urgence pour une loi aussi compliquée, aussi délicate, qui touche à toutes les libertés religieuses et civiles, c’était la puérilité d’un législateur étourdi qui ne doute de rien, qui joue avec les intérêts les plus sérieux. Tout le secret était de faire d’une motion d’urgence une déclaration de guerre religieuse, d’engager la chambre, de forcer le ministère dans ses derniers retranchemens, — et ici encore que s’est-il passé ? C’est l’incident décisif où viennent se concentrer et se résumer toutes les contradictions. Le président du conseil, celui qui l’était encore ce jour-là, a certes fait des prouesses de dextérité et d’équilibre pour se défendre sans trop décourager les radicaux qui le pressaient, sans trop s’aliéner non plus les conservateurs qui attendaient. M. de Freycinet, on n’en peut disconvenir, a parlé en politique des rapports nécessaires de notre gouvernement et du Vatican, même de la déclaration récente des cardinaux qu’il a jugée avec sagacité, et surtout du pape, de ce pape qui, a-t-il dit, « a donné des preuves répétées de ses sympathies pour la France, » qui « désire ne pas susciter de difficultés à la république. » En même temps, il est vrai, pour faire plaisir aux radicaux, il leur accordait cette urgence qu’ils réclamaient, sauf à l’atténuer, si l’on veut, par ses explications. Que prétendait-il ? Que pouvait-il espérer ? Une fois de plus, il a voulu tout concilier, il n’a rien concilié du tout ; il n’a satisfait ni les radicaux impatiens de combat, ni les conservateurs déconcertés par de si sensibles contradictions entre les paroles et les actes. En croyant dissiper une équivoque par ses explications, il n’a fait que la prolonger et l’aggraver.

En vérité, plus on s’est expliqué, moins on s’est entendu, et c’est ainsi qu’on est allé, à travers une série de votes confus, à un vrai gâchis parlementaire, passant d’un ordre du jour à un ordre du jour, de la motion Hubbard-Pichon à la motion Trouillot, pour finir par tout rejeter. Premier vote : les radicaux, pressés d’en finir, ont voulu trancher la question en proposant de déclarer qu’on poursuivra plus que jamais la « guerre au cléricalisme. » L’ordre du jour radical est rejeté ! — Deuxième vote : survient un autre inconnu, M. Trouillot, son ordre du jour à la main, un ordre du jour un peu moins accentué, qui ne parle que de