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personnelles en attaquant sans relâche les conseillers et les favoris de Guillaume II ; ils prétendent n’avoir en vue que le bien public, l’intérêt de l’État, compromis par l’ignorance des dilettanti, par la souplesse courtisane des complaisans chargés de famille. « La jeunesse, disent-ils, a besoin d’être avertie, et où sont à l’heure qu’il est les donneurs d’avis ? Le plus grand malheur des rois est de ne souffrir auprès d’eux personne qui ose leur dire la vérité, et dans l’occasion, leur tenir tête. M. de Bismarck était un de ces amis sincères, qui se rendent souvent importuns par leurs utiles remontrances. Ceux qui l’ont supplanté, sans le remplacer, se font un devoir de considérer le summus episcopus de l’église luthérienne comme un pape infaillible ; à l’homme de fer ont succédé les hommes de la lymphe de Koch. » Désormais c’est une opinion commune en Prusse et en Allemagne, que tout émane de l’initiative du souverain, que rien ne se fait que par son ordre, que ses ministres sont ses agens et ses très humbles serviteurs. Il recueillera seul toute la gloire des succès que pourra remporter son gouvernement ; en revanche, c’est à lui seul que seront imputés les échecs et les fautes. Autrefois les ministres couvraient leur roi, aujourd’hui le prince couvre ses ministres ; autrefois, un souverain irresponsable était entouré de conseillers responsables, aujourd’hui, les conseillers ne sont tenus que d’obéir, et le souverain répond de tout. Cette situation est sujette à de graves inconvéniens : qui peut se promettre de réussir toujours ? Voilà ce qui se dit à Friedrichsruhe ; mais Guillaume II n’en a cure, il se fie à son étoile.


La jeunesse se flatte et croit tout obtenir,
La vieillesse est impitoyable.


Quelle pitié peut-on attendre des vieux fauves, qui ont une injure mortelle à venger ?

M. de Bismarck serait peut-être moins dur pour son jeune souverain, si Guillaume II s’était contenté d’appeler auprès de lui des hommes nouveaux, sans rien changer dans la marche des affaires et dans la méthode de gouvernement suivie jusqu’alors. L’ex-chancelier aurait eu le plaisir de constater que sa politique s’imposait, qu’on continuait de chanter son air, en le chantant beaucoup moins bien que lui, et il aurait pu espérer que les doublures jugées insuffisantes ne tarderaient pas à rendre son rôle au véritable chef d’emploi. Il n’a pas eu cette satisfaction ; il a reconnu bien vite qu’on n’avait pas seulement changé les acteurs, que la pièce n’était plus la même, qu’en particulier la politique étrangère adoptée par Guillaume II n’était pas la sienne.

Comme l’a remarqué l’auteur d’une des nombreuses brochures qu’il