Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 110.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
195
UN SÉJOUR À ATHÈNES.

façonne, avec le cuir, toutes sortes de jolies choses : des bourses dont les Athéniens seuls, à ce qu’ils disent, possèdent le secret, et qui permettent aux Grecs, exilés sur la terre étrangère, de se reconnaître mutuellement, comme à un mystérieux signe de franc-maçonnerie ; des guêtres, des sacs, et surtout ces ceintures artistement travaillées, que les bergers d’Arcadie ne débouclent jamais une fois qu’ils les ont serrées autour de leur taille, où ils mettent tout ce qu’ils possèdent, depuis leurs paquets de tabac jusqu’aux souvenirs de leurs belles amies, et qui leur servent à la fois de sangles et de coffres-forts.

Le marché aux poissons reçoit, chaque jour, la visite de tous les cuisiniers et de toutes les bonnes d’Athènes. Il y a quelques années, l’usage admettait que l’on allât, en personne, faire ses provisions de bouche. On voyait des ministres disputer à des députés de l’opposition, les rougets à bon marché, et même les octapodes, petites pieuvres qui ressemblent à de grosses araignées, que les gamins de Phalère pochent sous les roches et tapent sur les pierres jusqu’à ce qu’elles cessent de grouiller, et dont la chair flasque est très recherchée par les Palikares. Ces mœurs innocentes ont disparu. Les personnes qui croient appartenir à la « société » athénienne aiment mieux se priver d’un plat que d’aller le chercher elles-mêmes. On déjeune d’une assiette d’olives, on dîne d’un morceau de fromage ; on vit d’eau claire et de vanité ; mais on est salué, sur le Stade, par des secrétaires de légation.


III

À mesure que la saison s’avance, les heures où l’on peut sortir et se donner quelque divertissement deviennent de plus en plus matinales et de plus en plus tardives. Dès la fin du mois de mai, le terrible soleil, dardant à pic sur le sable, commence à faire le vide dans les rues et sur les places. Les arbres des boulevards trop larges sont blancs de poussière. Au mois de juin, la dorure des collines commence à sentir le roussi. Au mois de juillet (que Pallas Athéna, déesse aux yeux glauques, me pardonne ce blasphème !), l’Attique ressemble assez bien au fond d’une poêle chauffée a blanc. Le ciel est horriblement pur et serein. Il faut se lever à quatre heures du matin, avec le jour, si l’on veut respirer un peu de fraîcheur. À dix heures, la ville est aveuglée de soleil, et assoupie. Les trottoirs blancs réverbèrent une lumière féroce. Le long des maisons, closes et mornes, sur une mince bande d’ombre, les ouvriers et les philosophes font la sieste. Les gens sont pâmés comme des poissons sur la paille. Quand le carillon de midi vibre dans l’air chaud, l’engourdissement est universel.