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σιάζετε άρμ (Présentez armes !) Les cuivres éclatent, la grosse caisse tonne, pour saluer l’étendard de Saint-George, à croix d’argent sur champ d’azur. Par file à droite ! En avant, marche ! Et la foule, entraînée par d’allègres cadences, emboîte le pas aux petits fantassins bleus, dont quelques-uns, surtout aux derniers rangs, négligent l’alignement avec un dédain qui sent son Palikare d’une lieue. D’ordinaire, après cette cérémonie quotidienne, la musique joue des airs sous les fenêtres du roi. C’est l’occasion d’un petit rassemblement : les institutrices et les bonnes arrêtent leurs troupeaux d’enfans ; des soldats en corvée posent un instant, sur le sable, leurs gamelles ou leurs marmites ; de vieux Moréates en fustanelle écoutent, d’un air attentif, ces accords d’une musique inconnue, et des promeneurs innocens, qui ont des figures de pirates, suivent, d’un involontaire mouvement de tête, les rythmes de la Mascotte ou de Madame Angot.

À ce moment, la rue d’Hermès est animée et bruyante. C’est l’heure où les Athéniennes élégantes vont faire leurs emplettes dans des magasins qui sont, autant que cela est possible, des réductions minuscules du Louvre ou du Bon Marché. Les boutiques les plus alléchantes ont des enseignes moitié mythologiques, moitié modernes, qui font d’ordinaire la joie des hellénistes fraîchement débarqués. Les marchands de nouveautés se sont donné une peine infinie pour traduire en un grec suffisamment élégant la langue spéciale des prospectus et des commis-voyageurs. Lorsque les Athéniennes cessèrent de porter leur costume national, qui consistait en une chemise et quelques sequins, on se trouva en présence d’une grosse difficulté. Le patriotisme chatouilleux des Palikares ne leur permettant pas d’accepter, du moins officiellement, les mots d’une langue étrangère, il fallut donner des noms à toutes les menues pièces de ce costume informe, qui fut inventé, en Occident, par la pruderie et par le froid, et dont l’Orient adopta, sans mesure, les servitudes et les complications. Les philologues se mirent à la besogne. Pour la première fois de sa vie, le thème grec devint amusant et frivole. Le corset, dès qu’il fit son apparition sur les côtes de la mer Égée, fut appelé στηθόδεσμος (stêthodesmos), littéralement le lien de la poitrine ; le pantalon fut nommé περισϰελίς (periskelis), mot à mot, ce qui se met autour de la jambe. Les hellénistes, peu habitués à ces divertissemens, riaient, derrière leurs lunettes, de ces admirables trouvailles. Toutefois, les Athéniennes se servent rarement de ces mots, qui leur semblent trop longs et trop savans. Elles disent de préférence τὸ ϰορσέ, τὸ πανταλόνι, τὸ μαντώ. Les lettrés d’Athènes ont dû renoncer à leurs traductions libres, et quelques personnes ont regretté leurs transparentes périphrases.

Le peuple et les gens qui ne sont pas riches, c’est-à-dire les trois