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UN SÉJOUR À ATHÈNES.

parmi des tribus de Pawnies, c’est la ville de Périclès ? Il faut, en effet, se résigner à faire un assez long chemin avant d’entrer dans des rues et de voir des êtres civilisés. Lorsque les Athéniens eurent permis à des Belges et à des Anglais de construire les deux lignes qui vont d’Athènes au Pirée et d’Athènes dans les bourgs du Péloponnèse, ils exigèrent que les deux gares fussent situées aussi loin que possible de la ville ; et, comme on opposait à leurs discours l’incommodité de la distance, la fatigue des voyageurs, ils répondirent que ces raisons n’étaient point bonnes, qu’il ne fallait pas s’inquiéter de l’éloignement de ces deux gares, et qu’avec l’aide de Pallas, la ville d’Athènes, en sa rapide croissance, saurait bien les rattraper.

Les Athéniens ne désespèrent pas de rejoindre un jour le Pirée, ce qui ferait une ville de douze kilomètres de long, et ce qui enlèverait aux voyageurs le plaisir de longer, de temps en temps, le peu qui reste des murs de Thémistocle. L’arrivée par le Pirée est plus conforme que l’autre aux traditions antiques et éveille toutes sortes de rêves exquis. On a beau se dire que l’on est assis sur la dunette d’un paquebot qui ronfle, fume et s’ébat lourdement comme un monstre sans élégance, on pense aux trirèmes enluminées et fleuries qui berçaient les chansons des athlètes vainqueurs.

Il faut, si l’on veut voir l’Attique dans toute sa beauté, et avec la grâce de sa rapide fraîcheur, entrer dans le port du Pirée, un jour de printemps, au moment où les tiédeurs précoces du mois de mars égaient de verdure hâtive et légère la sécheresse des collines de sable. Lorsque Yorghi, batelier de l’école française, qui m’attendait au bas de l’échelle du Sindh, accosta au quai de tuf grisâtre près de la douane, je fis un faux pas sur une des marches, et, sans le vouloir, peut-être, par l’effet d’une secrète influence des dieux, j’entrai à genoux dans la patrie de Phidias : j’ai cru depuis qu’il y avait un heureux présage dans le hasard qui me prosternait ainsi, malgré moi, dès mes premiers pas dans le doux pays où a fleuri l’adolescence du monde, et où devait jaillir la source vive de toute joie, de toute science et de toute beauté.

Je fus interrompu, à ce moment, dans la prière mentale que j’adressai à Zeus Hospitalier, protecteur des voyageurs, par l’arrivée des douaniers, hommes injustes et vêtus de tuniques vertes. La vérité m’oblige, bien qu’il m’en coûte, à vous conter mes démêlés avec ces Barbares, qui ne méritent pas le nom d’Hellènes, et que je comparerais volontiers à ces archers Scythes qui étaient chargés, au temps de la république athénienne, des basses fonctions de police auxquelles un homme bien né ne saurait consentir.

Chez la plupart des nations civilisées, la douane est ennuyeuse. Au Pirée et à Corinthe, elle est taquine, cocasse, comique, rapace,