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pardonner à ce genre de littérature facétieuse toutes les sottises qu’il a fait naître ; car nous lui devons un chef-d’œuvre : la Grèce contemporaine d’Edmond About.

De tous les peuples bavards et aimables, le peuple grec est celui qui se révèle le moins aisément à l’étranger qui passe. On peut habiter Athènes, courir de salon en salon, causer avec les riches banquiers qui se flattent de bien parler notre langue et de bien copier nos élégances, et ne rien comprendre aux choses de Grèce. C’est le cas de beaucoup de diplomates, dont l’investigation ne dépasse guère la limite des maisons où l’on danse, et l’habitude de quelques Français qui considèrent leur séjour là-bas comme un exil, et qui se construisent laborieusement, au pied de l’Acropole, un petit Montmartre.


I

Chateaubriand, dans son admirable Itinéraire de Paris à Jérusalem, affirme que la plus belle route par où l’on puisse arriver à Athènes est celle qu’il a prise, et que la ville de Cécrops doit être vue d’abord des hauteurs de Daphni, sur la route d’Éleusis. Les voyageurs ne prennent plus guère cette voie, où l’illustre écrivain avait été engagé par sa fantaisie et son caprice. Aujourd’hui, ceux qui ont peur du mal de mer prennent leur billet à Paris, à la gare de Lyon, traversent l’Italie à toute vapeur, s’embarquent à Brindisi sur un bateau du Lloyd, touchent à Corfou, se transportent avec leurs malles sur un paquebot hellénique qui leur fait payer, par de fortes odeurs de saumure et d’huile, la brièveté charmante de la traversée, voient les maisons neuves de Patras, admirent le golfe de Lépante, abordent à Corinthe, où ils sont inévitablement affligés par la douane et consolés par le buffet, montent en chemin de fer, courent le long d’une corniche, entre la mer et des pentes abruptes, saluent, du fond de leur wagon, les noms illustres de Mégare et d’Éleusis, criés à pleins poumons par le chef du train, aperçoivent des montagnes de plus en plus chauves et des plaines de plus en plus stériles, entendent enfin, comme en un songe doré, ce cri triomphant : Ἀθῆναι ! Ἀθῆναι ! (Athênai ! Athênai !) et descendent dans un pêle-mêle de gens qui s’embrassent, de bagages qui tombent, d’employés qui se querellent, sur le quai de la gare du Péloponnèse, vilaine bâtisse dans un terrain vague. Lorsque le voyageur s’élance hors de la gare, heureux et tout ému de fouler enfin ce sol béni, il est étonné de se trouver d’abord dans un désert. Il ne voit, autour de lui, que de pauvres cabanes de bois, où des gens mal vêtus boivent et bavardent. Est-ce là cette Athènes tant rêvée ? Cette station, perdue en rase campagne, comme un campement de Yankees