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Midi, et M. le Prince invita les ministres du Roi catholique à dénoncer la neutralité de la Franche-Comté, afin de permettre aux Comtois de pénétrer en Bourgogne et de menacer la route de Lyon[1].

Fausse alerte ! Il y avait bien eu à Bruxelles quelque velléité de secours ; mais pas un soldat espagnol ne bougea. Le parti ne pouvait compter que sur ses seules ressources, et elles s’épuisaient chaque jour ; la chimère de l’accommodement s’envolait. L’armée royale venait d’être renforcée. L’accord conclu à la hâte avec M. de Lorraine pour le faire déguerpir de Villeneuve Saint-Georges n’était pas rédigé en termes bien précis ; l’acte conservait cependant assez de valeur pour rendre disponible le petit corps d’armée qui guerroyait dans les états dont la souveraineté nominale appartient à Charles IV. Le maréchal de La Ferté quitta les frontières de Lorraine avec trois mille hommes ; il rejoignit le Roi et Turenne à Lagny. Si précieux que soit le renfort, l’avantage est balancé par un grave inconvénient : la division du commandement reparaît. Très vaillant, La Ferté a plus d’expérience qu’Hocquincourt ; mais léger, vaniteux à l’excès, voulant agir à sa guise, il entravera souvent Turenne.

Débarrassés de tout souci d’invasion, le Roi, ses maréchaux, ses troupes faisaient le tour de Paris par le nord ; des partis détachés jetaient l’alarme jusqu’aux portes. Un avis arrive que Castelnau marchait sur Vincennes. M. le Prince y courut aussitôt avec cinq cents chevaux, ne trouva rien que des paysans terrifiés et le château abandonné. A son retour, il fit donner l’ordre aux compagnies bourgeoises « d’aller en garde l’une après l’autre au Bois de Vincennes. Messieurs de la ville trouvèrent mauvais que les colonels eussent obéy aux ordres des princes sans prendre le leur[2]. » L’humeur de Paris se révélait.

L’armée royale, une douzaine de mille hommes, est à Saint-Denis. Celle des Princes, environ six mille, est renfermée, inactive, par-delà l’eau, dans la presqu’île de Gennevilliers, communiquant avec Paris par le pont mal réparé de Saint-Cloud. Les maréchaux se préparent à la déloger, occupent Poissy, jettent un pont à Épinay. M. le Prince, trop souvent retenu loin de ses troupes, reprend sa place au milieu d’elles. Déjà La Ferté, qui a l’avant-garde du Roi, a passé la Seine et se déploie sur la rive gauche. M. le Prince marche droit au maréchal, le charge, le fait reculer, toutefois sans le pousser trop fort ; il ne lui déplaît pas que l’armée royale

  1. M. le Prince à Lenet. Paris, 20 juin.
  2. L’abbé Viole à Lenet, 23 juin.