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Bretagne, en Anjou, en Auvergne, toutes les forces de l’administration, tous les efforts de l’enseignement public et de la presse populaire s’emploient à l’annuler et à la déraciner.

Veut-on savoir quel est, chez nous, le successeur du prêtre dans la confiance des masses ; qui est devenu, à la place du curé, le conseiller habituel de l’homme du peuple, de l’ouvrier surtout ? Il n’est pas malaisé de le découvrir ; il n’y a qu’à regarder où se rassemblent, de préférence, les ouvriers et où se prennent les grandes résolutions qui intéressent les travailleurs. Le nouveau conseiller du peuple, le directeur de l’ouvrier, le guide moral qui s’entend le mieux à le conduire, c’est le marchand de vin. On le voit aux heures de crise, dans toutes les grèves notamment ; le « mastroquet » est là, soufflant les syndicats, montant les têtes, excitant l’ouvrier à lutter contre les patrons, lui avançant au besoin des fonds pour la grève, bien sûr que toute augmentation de salaire tournera au profit de son comptoir, et ayant pour sa peine la chance d’aller un jour représenter les travailleurs à la maison commune ou au parlement. Et voilà ce que d’aveugles ou serviles libres penseurs ont le font d’appeler l’émancipation spirituelle du peuple.

Ce n’est pas impunément qu’une société se prive du secours moral que lui apporte la tradition religieuse, car la religion est un réservoir de forces sociales où les peuples puisent patience, amour et courage. Les hommes ont longtemps voulu croire à l’existence d’une fontaine de Jouvence, où vieux et vieilles n’avaient qu’à se plonger pour retrouver la force et la beauté. La fontaine de Jouvence est, hélas ! un mythe des poètes, et ceux qui, dans la confiance des peuples, ont succédé au poète, les savans, ont eu beau explorer toutes les terres de la science, ils n’ont pu encore la découvrir. Mais nous avons, non loin de nous, une fontaine plus admirable dont les eaux jaillissantes nous versent quelque chose de plus de prix que la jeunesse et la force ou la beauté juvénile. Cette source merveilleuse, point n’est besoin de la nommer ; c’est la religion, le christianisme, dont nous pouvons vraiment dire : Fons vitæ, fons amoris. Jeunes ou vieux, riches ou pauvres, ceux qui viennent y tremper leurs lèvres, y boivent l’amour de l’humanité et du prochain ; et qui veut y baigner ses membres, s’y imprègne de l’esprit de charité et de dévoûment. Cette fontaine miraculeuse, l’on croirait que les autorités préposées au bien-être des nations s’appliquent à en rendre l’accès facile à tous. Nullement, chez nous du moins ; elles s’efforcent, au contraire, d’en éloigner le peuple et de la rendre inabordable aux foules. Ne pouvant la tarir ni la souiller, elles essaient d’en faire oublier le chemin. Pour éprouver l’efficacité de ses eaux, il suffit d’y croire ; mais le mal, justement,