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espère que, après avoir inutilement essayé de tout et éprouvé l’insuffisance du prétendu spécifique des socialistes, le monde moderne lui reviendra, et que les classes populaires, lasses de tous les charlatans, finiront par se tourner vers elle.

Certains catholiques croient qu’il approche, ce moment tant désiré, et ils en montrent, avec joie, les signes avant-coureurs. Dans l’ardeur de leurs espérances, beaucoup, — non-seulement à Rome, mais en France, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, en Autriche, en Italie, en Angleterre, jusqu’en Amérique, — voient déjà la démocratie acceptant loyalement la main que lui tend Léon XIII, et, comme au court printemps de 1848, proclamant, à la face du monde, la solidarité de l’Évangile et des nouvelles aspirations sociales. Ils se la représentent, cette inquiète démocratie moderne, concluant, pour les siècles, avec la papauté, un pacte d’alliance semblable à celui conclu sur la montagne entre la maison d’Israël et Jéhovah. — Et ils prouvent, sans grande peine, qu’à pareille alliance des deux grandes puissances de notre monde occidental, rien sur le globe ne résisterait. Je le crois volontiers : nous aurions là un beau spectacle. Ce serait le plus grand événement, peut-être, des temps modernes. Quelle révolution, dans l’histoire de l’avenir, que l’union de la jeune et turbulente reine des temps nouveaux avec la gardienne de la tradition des vieux jours, avec l’antique Église, héritière à la fois de Rome et de Jérusalem ! Mais pareille alliance est-elle possible ? Et, si possible, est-elle prochaine ? C’est là, comme disent les Italiens, un connubio moins aisé à négocier que celui de deux groupes parlementaires. Grands et manifestes en seraient les avantages pour l’une et l’autre partie ; mais cela ne suffit point. Il faudrait faire taire les rancunes et dissiper les préjugés qui les séparent ; et, si l’Église, — chaque acte de Léon XIII en fait foi, — a secoué ses préventions contre la démocratie, celle-ci n’a pu encore s’affranchir de ses défiances contre l’Église. En aura-t-elle jamais la raison, et en aura-t-elle la force ? Qui la connaît en peut douter.

Certes, puisqu’elle prétend conquérir le monde, la démocratie ouvrière accroîtrait ses chances de victoire si, arborant, à son tour, le labarum, elle acceptait les bénédictions de l’Église, qui étend déjà la main sur son front. Le « quatrième état » n’est pas encore si puissant, ou si aveugle, qu’il doive faire fi d’un auxiliaire tel que la papauté : sur les champs de bataille où il concentre ses troupes, les dociles milices de Rome ne seraient pas, pour lui, un renfort inutile. Mais, pour être assuré de la coopération de l’Église, il ne lui suffirait pas de recevoir des mains du pape une bannière bénie, un gonfalon aux clés pontificales ; il lui faudrait d’abord se plier à une discipline contre laquelle ses instincts se révoltent. L’Église