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fois, le péril prochain. Y voulons-nous échapper, il n’y a qu’un moyen. En face de ces syndicats ouvriers qui, en attendant de devenir les maîtres de la chose publique, prétendent déjà régenter l’État, il importe que l’État n’abdique point, que l’État ne laisse pas usurper, qu’il ne devienne point la chose d’une classe et le serviteur d’une caste. Il doit maintenir entière l’autorité publique et ne la déléguer à aucune association privée ; car l’abdication de l’État est peut-être encore pour la société un mal pire que tous les empiétemens de l’État. Au milieu des intérêts en conflit, son rôle est de maintenir l’égalité des droits, avec la paix matérielle, la paix de la place publique. En fait de paix sociale, c’est peut-être la seule qu’il puisse nous garantir. Pour la paix des cœurs, pour l’union des âmes, je doute fort, en vérité, que l’État soit compétent.


III

La paix des âmes et des cœurs, l’union des volontés, ni l’État et la loi, ni les rois et les parlemens ne peuvent nous la donner. C’est pour eux une source scellée, et la clé n’en est pas dans leur main. Cette paix-là ne nous peut venir que d’en haut, avec l’amour ; c’est du ciel qu’elle doit descendre sur nous, du ciel d’où les anges ont laissé tomber le Fax hominibus bonœ voluntatis. Un pape n’a pas le droit de nous le laisser oublier ; aussi, après avoir énuméré tous les remèdes que la science ou l’empirisme peuvent appliquer aux maux des nations contemporaines, le saint-père en revient à sa maxime fondamentale, terminant par où il avait commencé. « Si la société humaine doit être guérie, — si societati generis humani medendum est, — elle ne le sera que par le retour à la vie et aux institutions chrétiennes. » Nous dirions, quant à nous, tout simplement, par le retour à l’esprit de l’Évangile. Le meilleur de tous les baumes sociaux, le plus efficace et le seul inoffensif, c’est le baume évangélique, l’onguent fait de charité et d’espérance ; il n’y entre rien d’irritant ; on peut, avec confiance, l’appliquer à tous les ulcères ; — les autres, ceux qui se préparent dans les officines gouvernementales, gardent toujours quelque chose d’âpre, de cuisant, de caustique, ils risquent d’enflammer la plaie qu’ils prétendent guérir. Le malheur, nous l’avons dit, c’est que ce remède agrée peu aux médecins, et qu’il répugne au patient, qui n’y veut guère voir qu’une recette de bonne femme. L’Église ne l’ignore point ; mais elle ne se lasse pas, pour cela, d’offrir ses soins au malade ; elle prend à cœur de ne pas le rebuter, le traitant au besoin en enfant, évitant de se montrer trop sévère pour ses caprices et ses lubies. Elle