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parce qu’il ne peut rien offrir ! le dernier mot est ce provisoire sans sécurité où nous restons. Et qu’on ne dise pas que c’est un moment à passer, que les étrangers s’accoutumeront à nos tarifs et se garderont de répondre par des représailles, par la dénonciation de la convention littéraire, des garanties des anciens traités. C’est une illusion de plus de croire que les étrangers ne se défendront pas et ne se serviront pas des armes qu’ils ont dans les mains.

Eh bien ! que faire alors ? Le plus simple serait sans doute de détendre à demi la situation en rendant à M. le ministre des affaires étrangères la liberté de négocier, en lui laissant le droit de se servir du tarif minimum sans s’y enchaîner. Ce serait finir par où on aurait dû commencer. Si on veut aller jusqu’au bout, poursuivre l’expérience d’un protectionnisme inflexible, il est clair que nous entrons dans une ère où d’étranges surprises sont possibles. Il se peut que le cours des relations change, que les intérêts se déplacent par degrés. La France peut être remplacée sur les marchés étrangers ; le mouvement commercial peut se ralentir ou se détourner de nos frontières et de nos ports. Les sympathies des peuples voisins peuvent suivre la direction de leurs intérêts nouveaux. C’est possible, et quand on s’en apercevra, le mal sera fait ; il sera peut-être déjà assez grave pour être difficile à réparer. On ne remonte pas aisément les courans commerciaux pas plus que les courans politiques. Voilà le danger, — et c’est quelque chose de plus sérieux que de savoir s’il y aura une petite crise ministérielle de plus ou de raviver des querelles religieuses désavouées par la France.

Parce que les intérêts de commerce sont momentanément prépondérans en Europe, ce n’est point à dire qu’il n’y ait dans la plupart des pays bien d’autres questions, des questions qui touchent à l’état moral, à l’état politique des peuples. Les affaires de commerce et d’industrie n’excluent pas les autres affaires, une foule de problèmes qui s’agitent partout à la fois, à Berlin comme à Vienne, à Bruxelles comme à Madrid ou à Lisbonne. La vie universelle suit son cours. Tout est mouvement, action ou réaction. Visiblement, un esprit nouveau souffle en Allemagne depuis l’avènement de l’empereur Guillaume II, et le jeune souverain ne paraît pas être au bout de ses expériences, d’ailleurs assez variées. Le vieux chancelier retiré à Friedrichsruhe désespère lui-même d’y rien changer et d’être rappelé au pouvoir pour remettre de l’ordre dans les affaires allemandes. Il proclame d’un ton désabusé son indifférence pour la politique ; il ne s’en soucie plus, à ce qu’il dit, — et tout dernièrement, dans une entrevue avec une députation d’étudians de Leipzig, il se comparait pittoresquement à « un voyageur perdu dans la neige, commençant à s’engourdir et s’enfonçant vers la terre pendant que les flocons le recouvrent. » Il n’y comprend plus rien et se sent de plus en plus un étranger dans ce nouveau