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crescendo lyrique est ici d’un magnifique effet. Il faut ajouter qu’on l’a embelli encore par la décoration et la lumière, en ouvrant une grande fenêtre sur le ciel d’une nuit infiniment bleue, où se détache la silhouette de M. Mounet-Sully, beau comme un christ allemand.

N’importe : patriotisme, vertu, devoir, grands sentimens, grandes phrases et grands mots, M. Richepin en a un peu abusé. À la fin de la soirée, au milieu déjà, on demande grâce, on ne peut se maintenir à cette hauteur, on se sent inégal, insensible et honteux de son insensibilité. Ah ! les nouveaux convertis ! les barbares qui se civilisent ! Où sont les blasphèmes d’antan ? Non que je les regrette ; je les rappelle seulement. La vieille morale a de ces retours et de ces vengeances : on commence par le scandale, on finit par le lieu-commun. Je le sais pourtant et veux y insister en terminant ; l’auteur a jeté sur la banalité des personnages d’éclatantes draperies. Notre critique vise le fond plus que la forme, le drame et non les vers, et même aux lieux-communs que nous déplorons, le poète lyrique, en plus d’un passage, a donné l’éloquence et la beauté des vérités éternelles.

L’interprétation est ce qu’elle doit être : forcenée. Pourvu qu’en de pareilles fureurs, la douce, la frêle, l’exquise Mlle Bartet ne brise point une de ses cordes d’argent ! M. Mounet-Sully est relativement calme ; ainsi le veut son rôle, qu’il a d’ailleurs composé avec intelligence, y mettant tour à tour du mystère, de la mélancolie et une flamme sacrée. Son pauvre frère ne peut, hélas ! que hurler, tantôt de rage, tantôt d’amour. Il faut le louer et le plaindre. L’infortuné M. Silvain râle avant le milieu du premier acte. Plus douce est la voix de M. Albert Lambert ; plus douce encore, la voix de Mme Amel chantant pour le petit Rizzo une mélodieuse cantilène. Et tenez ! quand je songe au drame de M. Richepin, je tâche d’en oublier le fracas et l’horreur et de revoir seulement un palais d’Italie, une grande salle de marbre, où, la nuit, dans un rayon de lune, un murmure de chanson et de mandoline caresse le front d’un enfant endormi.


CAMILLE BELLAIGUE