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II

Des pessimistes, de hâves pessimistes ! diront les gens dont le contentement, relevé d’un juste orgueil, est fait de digestions heureuses, d’un diplôme de bachelier, de la certitude d’avoir conquis la liberté et l’égalité dans la meilleure des républiques. Pessimistes ! je veux bien que ce soit un stigmate ; ce n’est pas une réponse. Quelqu’un a démontré ici, très fortement, que le pessimisme était la source de toutes les améliorations D’ailleurs, il faudrait s’entendre. Il y a quelques années, on bafouait au nom de l’idéal le pessimisme résigné des naturalistes ; si l’on accuse aujourd’hui le pessimisme inquiet des idéalistes, qu’on nous dise comme il faut penser. Et les optimistes sont nombreux parmi nos réformateurs : je ne sais pas d’optimisme plus robuste, plus débordant, plus candide parfois que celui de M. C. Wagner. M. Desjardins fait bruire allègrement sa joie. — Mais ils ne disent rien de nouveau ! — Je le crois quelquefois. Ce n’est pas une raison pour les faire taire. Il y a longtemps que l’on sème chaque année le même blé, de la même façon ; c’est très monotone ; mais c’est apparemment qu’il faut toujours aux hommes le même pain. Au surplus, regardez-y de près : parmi tant de plaintes vieilles comme le fumier de Job, vous remarquerez dans ces écrits la constatation d’un mal assez neuf, tout au moins assez rare. Ce n’est pas le mal des romantiques, l’ancien « mal du siècle ; » celui-là provenait du « vague des passions, » de leur impuissance à satisfaire le cœur, et parfois de l’impuissance à les satisfaire : n’est-ce pas, René ? Il était le plus souvent individuel, artistique, très cher à ceux qui le possédaient. Nous entendons aujourd’hui la dénonciation d’un mal collectif, social. — Ce n’est point la dénonciation du [dernier siècle, proclamant avec Rousseau l’impossibilité de vivre plus longtemps dans une maison vermoulue ; à la seule condition d’abattre cette maison, les mécontens du XVIIIe siècle promettaient aux hommes une ère fabuleuse de bonheur. Leur réclamation confiante était de même nature que celle des socialistes, lorsqu’ils imputent uniquement leur souffrance à un système légal et à des causes économiques ; je n’ai pas à m’occuper ici de cette catégorie de réformateurs, malgré le rapport étroit, inaperçu d’eux, qui existe entre les deux malaises actuels. Les nôtres prennent grand soin de dire : vous aurez beau changer des lois, bouleverser l’assiette sociale, vous ne rendrez pas à ce monde le principe de vie faute duquel il meurt. — Alors, c’est le reproche perpétuel du prédicateur sacré, l’anathème au siècle, l’invitation à le quitter pour embrasser la vie spirituelle ? — Pas précisément. Le