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d’orfèvrerie en or massif, treize pièces en cristal de roche et trois cent trente-quatre pièces en argent, presque toutes travaillées avec art ; beaucoup étaient espagnoles et italiennes. Quatre-vingt-huit tapisseries de Felletin et de Normandie, des tentures en fils d’or, de soie et de satin cramoisi, décoraient les salles et les chambres du château. Charlotte aimait le velours, les draps riches, les fines toiles, les fourrures d’hermine et de martre zibeline. La selle de sa haquenée était recouverte de drap d’or et de velours. Quand le temps l’empêchait de sortir à cheval, elle se servait d’une litière toute doublée en dedans de satin vert et portée par deux chevaux caparaçonnés de velours. Sa grande joie était de marier ses demoiselles d’honneur ; elle les dotait, et, à sa mort, on trouva dans sa chambre un coffre d’objets destinés à habiller les « espousées » : « ceintures d’orfaverie, aulmonières, gorgerettes, coeffes et thourets aux fils d’or. »

En l’an 1505, elle perdit sa royale et meilleure amie, Jeanne de France, et sa douleur dut être profonde, car, dès ce moment, elle se condamna à la réclusion : on ne la revit plus dans la capitale du Berry. Deux ans plus tard, elle apprenait la fin tragique de César Borgia.

On pourrait supposer qu’ayant été abandonnée, Charlotte d’Albret, libre à vingt-cinq ans, s’empresserait de retourner à la cour de France pour y prendre un mari de son choix. Elle n’en fit rien. N’ai-je pas dit qu’elle aimait le duc son époux ? Elle l’aimait d’un amour tellement profond qu’elle en mourut. Aussitôt veuve, elle prend le deuil, et son entourage doit l’imiter. Les meubles en velours écarlate et jaune, — les couleurs de César, — sont revêtus de housses sombres. Des tentures noires couvrent les riches tentures de sa chambre à coucher ; son lit est tendu de satin noir. En deuil, la chapelle et les ornemens du culte ; en deuil la selle de sa monture, ainsi que la litière et les harnais des chevaux. Sa jeune enfant, Loïse, voit le damas écarlate de sa couchette remplacé par une serge noire.

Le 11 mars 1514, Charlotte d’Albret, à peine âgée de trente-deux ans, rendait son âme à Dieu. Elle mourut entourée de sa fille, de sa maison et de quelques pauvres familles de vassaux admises à prier pour elle dans la cour du manoir. Sa dépouille mortelle fut transportée à Bourges et placée à côté de celle de Jeanne de France. Quand éclata la discorde entre catholiques et réformés, les deux tombes furent profanées, et ce qu’elles contenaient disparut dispersé à tous les vents. Loïse, sa seule héritière, fut remise, en raison de sa jeunesse, aux mains de Louise de Savoie, Mme d’Angoulême, mère de François Ier. Elle épousa, en 1517, le chevalier sans reproche, Louis II de La Trémouille, un vaillant Berrichon,