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cialement dans la langue, le droit, les coutumes de leur province, et devenus, par cette spécialisation, plus aptes au service de celle-ci, le deviennent moins au service des autres. Il en résulte qu’un excellent fonctionnaire de Madras risquerait, au moins dans les postes inférieurs, d’être presque médiocre dans la présidence de Bombay. Or, la Birmanie, elle, fait aujourd’hui l’objet d’un recrutement séparé. Elle ne peut donc que difficilement utiliser, du moins sans préparation, les fonctionnaires des autres provinces de l’empire ; elle ne peut compter que sur les siens propres, et, dans les périodes normales, elle a le droit d’y compter avec quelque confiance. Mais le nombre en a été calculé un peu strictement. Survienne un événement imprévu, l’équilibre se rompt, et la machine administrative ne fonctionne plus que péniblement. C’est ce qui est advenu en 1885. La Birmanie comportait un état-major civil de soixante-deux fonctionnaires qui suffisait à tout, et, malgré ce que j’ai dit des préférences et des antipathies des membres du civil service, s’acquittait convenablement de sa tâche. Tout d’un coup, et sans préparation[1], la Haute-Birmanie est envahie et annexée et réclame un personnel considérable. On en tire une partie de Basse-Birmanie ; mais, à son tour, celle-ci s’agite et exige la présence de tous ses fonctionnaires. On est alors forcé de se tourner d’un autre côté et de faire appel soit à des personnes étrangères au service civil, mais connaissant bien la Birmanie, soit, — car le nombre de ces personnes est limité, — à des civilians des autres provinces. Mais ces civilians, spécialisés par leurs études et par leur service, étaient peu propres au service de la Birmanie ; et, de ce côté, le recrutement se trouvait encore entravé.

Pour une fois, les savantes combinaisons du gouvernement de l’Inde se trouvaient donc faussées. Et il faut dire que le zèle et l’empressement des hommes ne remédiaient pas à l’inertie des institutions. Tandis que nous avons vu, au Tonkin, nos fonctionnaires des colonies et même de la métropole, nos officiers de toutes armes, nos médecins de l’armée et de la marine, se disputer ardemment les places disponibles, pour la Birmanie, au contraire, on eut beaucoup de peine à se procurer le nombre d’agens nécessaire. Le service médical, notamment, n’eut jamais le contingent même indispensable. La Birmanie, nous le savons, n’était pas populaire parmi les fonctionnaires de l’Inde, et leur dévoûment n’allait pas jusqu’à échanger contre des fatigues et des dan-

  1. La conquête de la Birmanie n’était pas un événement inattendu. Mais ce qui était encore douteux, c’était le régime qui y serait institué : gouvernement par les indigènes ou gouvernement par les Anglais. Dans l’incertitude, on ne pouvait augmenter le contingent des fonctionnaires destinés à la Birmanie.