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aucun doute ne subsiste dans l’esprit de personne. L’homme a trop énergiquement affirmé qu’il n’est pas l’auteur du crime pour qu’on puisse supposer qu’à la dernière heure il acceptera bénévolement l’accusation. Dès que la question lui est posée : Not guilty, s’écrie-t-il d’une voix forte. C’est tout, on est fixé ; il comparaîtra, en conséquence, dès le lendemain devant le petit jury et l’arrêt ne sera rendu qu’après une discussion approfondie, avec les formes d’usage et la gravité solennelle de la loi.

Nous sommes au 31 juillet. Dès huit heures du matin, une foule impatiente se presse à la porte extérieure de la cour. Il y a de tout dans ce public avide d’émotions, des oisifs, des membres de l’union maritime à laquelle appartenait l’accusé, des ouvriers qui ont déserté le chantier ou l’usine, et aussi les individus que de pareils débats intéressent parce qu’ils perçoivent confusément qu’un jour ou l’autre ce sera leur tour d’y être mêlés. Les spectateurs privilégiés ont pénétré par des couloirs réservés, ils ont montré aux gardiens, — hallebardiers en costume moyen âge, ou laquais en manteau gris, bottes vernies et chapeaux de soie, suivant le goût et la fantaisie du shérif, — le billet qui donne accès aux galeries ou aux stalles enviées du côté droit, très rapprochées de la présidence. Les douze jurés, sur deux rangs de fauteuils, sont à la gauche, précisément en face des places d’honneur. A droite, la tribune élevée que graviront les témoins ; puis devant le juge qui dominera l’auditoire du haut d’un bureau très orné, chargé de paperasses, l’hémicycle où se tiennent le clerk of assize d’abord, ensuite les avocats de l’accusation et de la défense en robe noire, rabat blanc et perruque Louis XIV à rubans de queue. Des membres du barreau les entourent et s’entretiennent familièrement avec eux ; non loin de là, des tables ont été réservées aux représentans des journaux ; enfin, au milieu du dernier rang des sièges qui forment ce demi-cercle, presque au centre de la salle, à vingt pas du président, le dock circulaire garni d’une barre où le prévenu apparaîtra tout à l’heure comme s’il émergeait d’une trappe. A dix heures, les portes du fond sont ouvertes ; les curieux qui attendaient au dehors envahissent les bancs publics. Le haut shérif, représentant de la souveraine et qui a revêtu, pour la circonstance, l’uniforme de major de volontaires, monte à l’estrade. Il est assisté de son chapelain et suivi du sous-shérif en pourpoint noir, culottes courtes et bas de soie. Tous deux s’effacent modestement derrière lui. Au reste, ces trois personnages n’ouvriront pas la bouche, leurs fonctions étant nulles et leur présence ne s’expliquant que par le respect d’une tradition que des siècles ont consacrée. Tout à coup des trompettes retentissent, mais ce n’est point, comme on