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solicitor qui s’apprête à refaire le récit succinct des événemens. Il s’explique rapidement, sans aucune prétention à l’éloquence, et conclut en accusant Conway d’avoir tué Nicholas Martin. Alors, le défilé recommence. Voici les surveillans du dock, les parens de l’enfant, la revendeuse, le cocher, la logeuse du prévenu, d’autres encore de moindre importance qui déposent du fait qu’ils connaissent. Peu à peu le débat s’anime ; le prisonnier, qui jusqu’à présent n’a guère parlé, rompt le silence, interpelle directement les témoins, et sur des points secondaires cherche à les embarrasser et à les confondre. Doux et résigné par momens, avec plus de tristesse que de colère, il change parfois d’attitude, s’irrite et traite de misérable un journalier qui prétend l’avoir rencontré le soir du crime, traînant l’enfant par la main. Il s’indigne qu’un homme ait le courage d’apporter au tribunal des témoignages aussi mensongers, et au milieu de l’émotion de l’assistance, il se dresse et appelle sur l’imposteur la malédiction de Dieu. Puis, quand l’accès tombe, quand aux fureurs dont il s’excuse humblement succèdent le calme et l’instinct de la conservation, il revient sur les dépositions qui lui ont été le plus favorables, supplie qu’on les entende de nouveau. Non, le crime n’a pas été commis par lui, mais par cet étranger qui se sera glissé, à l’insu de tous, dans la pièce qui lui servait de bureau. Il use du procédé connu sous le nom de cross-examination pour établir que sa conduite a toujours été excellente, que ni ses amis ni ses voisins n’ont à lui reprocher la moindre indélicatesse, enfin et surtout qu’il ne sortait jamais après onze heures, ainsi que l’a certifié sa propriétaire. D’ailleurs, ne s’est-il pas battu en Crimée ? .. Et le président le laisse aller, lui maintient la parole aussi longtemps qu’il le désire, soucieux de ne le point troubler, indifférent à ses déclarations emportées comme il l’eût été à son mutisme. Il n’intervient à son tour que lorsque le dernier témoin cité ayant comparu, les procès-verbaux d’audition sont signés, relus ensuite à haute voix. Alors, s’adressant à Conway : « Avez-vous encore quelque chose à dire contre l’accusation qui pèse sur vous ? — Rien, j’affirme hautement mon innocence. — Votre réponse sera enregistrée ; désirez-vous la signer ? — Je ne consens pas à ratifier de faux témoignages… — Prisonnier, reprend le président, on ne vous demande pas de contresigner les dépositions des témoins. Le document au bas duquel votre signature est réclamée constate simplement que vous niez. — Je me refuse à y apposer mon nom. » Le magistrate n’insiste pas. Il se lève et rend sa sentence. Conway est envoyé aux assises, pour y être jugé conformément à la loi. Un gardien s’empare de lui, et tous deux se dirigent vers l’escalier qui conduit aux cellules