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se trouve également des prêtres parmi les professeurs. Ce sont eux qui remplissent à peu près toutes les chaires de philosophie. Des séminaristes sont maîtres d’études au collège de Nancy[1]. » Pour les laïques, avant de les nommer, on s’assure de leurs sentimens chrétiens. Un petit fait qui en dit long à ce sujet. En 1827, la chaire de physique est vacante à la Faculté des sciences de Toulouse ; elle est demandée par un M. de Boisgiraud, professeur au collège de Poitiers. Mais il est protestant : on hésite à le nommer ; plusieurs évêques l’appuient ; pour plus de sûreté, on lui fait demander s’il ne consentirait pas auparavant à abjurer le protestantisme[2] . Qu’eût-on fait pour une chaire de philosophie ?

Plus expressives encore sont les mesures contre les personnes. Pendant toute cette période, on poursuit le libéralisme avec une âpreté croissante, et, pour l’atteindre, on frappe à la tête, dans l’enseignement supérieur, là d’où les idées descendent. Déjà, sous la Commission d’instruction publique, on avait dénoncé à la tribune Tissot, professeur au Collège de France, ancien jacobin, rédacteur de la Minerve, un journal d’opposition. Sous le couvert de l’allusion il tournait, disait-on, la royauté en ridicule et faisait l’apologie de la Révolution. Peut-être était-ce vrai. Mais Royer-Collard avait tenu ferme et protégé, dans une personne antipathique, les droits de l’enseignement et ceux des professeurs. Le Conseil royal et M. de Corbière n’eurent pas de ces scrupules. Prenant occasion d’un Précis historique des guerres de la Révolution, publié par Tissot, où il vantait la Convention d’avoir sauvé la patrie et ne lui faisait d’autre reproche que d’avoir accordé la paix aux Vendéens et traité avec trop d’indulgence les insurgés du 13 vendémiaire, on le révoqua, sans jugement, au mépris de l’inamovibilité du professeur.

Quelque temps auparavant, au lendemain même de la démission de Royer-Collard, on avait suspendu Victor Cousin, son suppléant à la Faculté des lettres de Paris. Qu’avait à lui reprocher le royalisme intransigeant et dévot du gouvernement ? Son crime était de ceux qu’un tel gouvernement ne pardonne pas. Sans doute, pendant trois ans qu’il avait enseigné à la Sorbonne, pas une seule fois il n’avait fait appel aux passions politiques, pas une seule fois parlé du roi ou de la charte, de la congrégation ou des jésuites. Mais il avait été pour une jeunesse « qui se demandait, à l’entrée de la vie, vers quelle lumière se diriger et si elle n’était pas condamnée à rester le jouet des événemens[3], » la voix du ralliement

  1. Chambre des députés, 18 mai 1827.
  2. Archives nationales, F. 17-11512.
  3. De Rémusat, Réception de Jules Favre à l’Académie française.