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bien qu’on ne l’invitât pas à le faire. Elle avait le sentiment de son double caractère, et elle ne crut pas impossible de montrer que, tout en restant une institution nationale, une institution de l’état nouveau, elle pouvait dépouiller son enveloppe impériale et devenir « monarchique et religieuse. » Qu’elle y fût poussée par ce besoin de conservation qui porte les corps aussi bien que les individus à s’adapter aux conditions changeantes des milieux et des régimes, cela n’est pas douteux ; mais il n’est pas douteux non plus qu’en essayant de se sauver elle-même, elle ne crût, en toute sincérité, sauver aussi, contre l’Église, la forme moderne de l’éducation nationale dont les événemens l’avaient rendue dépositaire. L’Église et elle, tout le temps de l’Empire, avaient vécu côte à côte, sans hostilités, sans rivalités apparentes. Mais avec la Restauration, l’Église redevenait une puissance, la grande puissance du jour, et elle était prête à réclamer du pouvoir civil l’abandon de l’éducation publique. Il fallait donc compter avec elle, et sous peine de la voir tout demander et tout obtenir, lui offrir en partage les fruits du domaine, mais en garder, pour le pouvoir civil, l’intendance et la propriété.

C’est bien de cette double pensée que s’inspire le projet de révision des statuts universitaires qui fut alors élaboré par M. de Fontanes, par M. A. Rendu et par les conseillers de l’Université : maintenir la corporation universitaire, et l’ouvrir à l’Église, sans en faire cependant une corporation religieuse.

D’après ce projet, à l’Université, à l’Université seule, restaient confiées, dans tout le royaume, « l’éducation et l’instruction publiques. » De son ancienne constitution l’Université conservait toutes les pièces essentielles : son monopole d’abord, à l’exception des séminaires et des écoles de services publics qui pourraient désormais se former en dehors d’elle, puis son Grand-Maître, ses dignitaires et son Conseil, ses revenus et ses biens, sa juridiction et ses grades, ses facultés et ses collèges. La différence était toute dans l’École normale. Celle-ci continuait d’être une école pédagogique ; mais elle devenait en même temps une école religieuse. Entre elle et les séminaires on établissait des communications et des échanges. On pouvait sortir de l’École normale, passer trois ans au séminaire, puis en revenir, la soutane sous la robe, aux collèges de l’Université, Réciproquement on eût pu passer des séminaires à l’École normale. En même temps on laissait entendre que « les ecclésiastiques seraient préférés aux laïques pour toutes les places d’administration et d’enseignement, » et qu’ainsi serait enfin réalisée cette disposition primitive du statut universitaire qui imposait aux professeurs le « célibat et la vie commune. » C’était donc l’Université ouverte à l’Église, pénétrée par l’Église ; mais c’était