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LES ANGLAIS EN BIRMANIE.


règle. Je puis me porter garant que justice sévère et impartiale a toujours été faite de ces fonctionnaires incapables ou infidèles, si haute qu’ait pu être leur position officielle, si grande qu’ait pu être leur influence sociale et politique.

« J’attribue le succès que je revendique pour le service civil de l’Inde dans les temps modernes principalement à ce fait qu’il est le service du monde de beaucoup le mieux payé[1]. Un jeune homme de vingt-deux ans, entrant dans le service de l’Inde, touche un traitement de début de 480 livres sterling (12,000 francs), et ce traitement peut, à la fin de sa carrière, être élevé progressivement jusqu’à 10,000 livres sterling (250,000 francs). Cette libéralité dans les traitemens tend à diminuer les tentations auxquelles un homme placé dans une situation pleine de responsabilité et de pouvoir peut, en raison même de sa condition d’homme, se trouver exposé. De plus, je puis dire que le gouvernement de l’Inde veille avec la plus extrême sollicitude sur la conduite de ses fonctionnaires, même dans les matières les plus insignifiantes, sachant bien que la durée de la puissance britannique dans l’Inde dépend de la sagesse et de la justice de ses fonctionnaires plus que de toute autre chose. »

Je pourrais citer l’opinion de bien d’autres Anglais : elle ne s’écarterait point de celles que je viens de rapporter. Mais, malgré ce que j’ai dit plus haut, comme les Anglais sont intéressés à exalter la grandeur de leur gouvernement de l’Inde et l’excellence de ses fonctionnaires, leur enthousiasme nous peut

  1. «Il y a une théorie d’après laquelle nous travaillons trop peu et nous coûtons trop cher. Cette théorie a été sinon mise en avant, du moins appuyée par un certain nombre de ceux qui visitent l’Inde durant la saison froide. Exilés en quelque sorte de notre patrie et sevrés en fait de beaucoup de nouvelles sur ce qui s’y passe, nous sommes toujours prêts à accueillir les voyageurs anglais. Nous nous réjouissons de les avoir chez nous ; nous leur faisons la meilleure chère que nous pouvons ; nous nous dépensons pour leur montrer tout ce qu’il y a à voir et leur procurer toutes les distractions imaginables. La vérité est que très souvent nous approvisionnons nos garde-manger d’une façon qui sied mal à nos finances et consacrons à amuser nos hôtes un temps que nous pouvons difficilement prélever sur notre travail. Or, notre hospitalité est parfois payée par des accusations calomnieuses : nous gaspillons notre temps, notre train de vie est désordonné. En réalité, nous travaillons non-seulement rudement, mais aussi rudement que nous pouvons travailler. À vrai dire, nous nous épuisons à travailler ; nous travaillons jusqu’à ce que nous soyons contraints de prendre un congé pour aller réparer notre santé en Angleterre. Les émolumens même de l’Indian civil service, qui est le mieux payé de tous les services du pays, sont tels qu’ils n’attirent que très peu d’hommes de premier mérite. Bien peu d’entre nous deviennent riches et beaucoup sont pauvres. Nous sommes, durant notre temps d’activité, obligés de nous imposer de constantes et parfois de rigoureuses privations pour envoyer en Angleterre les sommes nécessaires à l’entretien de nos femme» et à l’éducation de nos enfans. » (Lettre d’un Anglo-Indien, Times du 25 septembre 1891, suivie d’un article de fond à la même date.)