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LES ANGLAIS EN BIRMANIE.


qu’un tigre, les griffes et la gueule ensanglantées, et ce tigre sera mahométan[1]. »

Voilà qui nous édifie sur l’œuvre que les Anglais ont accomplie dans l’Inde : elle plaide hautement en faveur des ouvriers. Quant à ces ouvriers eux-mêmes, je n’ai qu’à reproduire les témoignages de ceux qui les ont vus à l’œuvre. Je citerai d’abord les témoignages d’Anglais. Ces témoignages, on pourrait être tenté de les contester. Mais on n’y songe plus quand on regarde de qui ils émanent et quelle unanimité ils présentent.

« Des observateurs compétens, a écrit sir Richard Temple[2], qui a occupé dans l’Inde de très hautes fonctions, ont estimé que les fonctionnaires du service civil représentent en Orient d’excellens types anglais parmi les meilleurs. Un prélat de la haute église, connaissant aussi bien l’Occident que l’Orient, m’a déclaré n’avoir jamais connu une classe d’hommes supérieure. »

Sir John Strachey[3], qui a fait preuve dans ses travaux d’une rare indépendance d’esprit, dit que les Indiens, sans aimer la domination et l’administration anglaises, les préfèrent sans hésiter à celles de leurs compatriotes.

« Comme vice-roi, m’écrivait un des derniers gouverneurs-généraux, le très regretté lord Lytton, j’ai, pendant cinq années, été en rapports constans avec toutes les administrations du service civil de l’Inde, et je me suis formé la plus haute opinion de leurs mérites et de leur honnêteté. Sans doute, dans un service aussi vaste que celui de l’Inde britannique, il doit y avoir des degrés divers d’intelligence et de capacité, et il est assuré que le service de l’Inde, comme tous les services publics du monde, renferme quelques membres incompétens. Mais mon impression est que, comparé aux autres, il en renferme exceptionnellement peu, et que sa moyenne est exceptionnellement élevée. »

  1. Cela ne veut pas dire que les Anglais n’aient point d’ennemis parmi les Indiens : ils en ont d’acharnés. Mais ces ennemis, pour la plupart sortis des écoles anglo-indiennes, ambitieux autant que patriotes, rêvent peut-être moins de délivrer leurs peuples que de supplanter les Anglais. Ils n’ont, d’ailleurs, qu’une influence restreinte, quoique grandissante et ne parviennent pas toujours à faire partager aux autres la haute opinion qu’ils ont d’eux-mêmes. Deux Hindous de haute caste causent ensemble. L’un d’eux dit : « Les Anglais sont encore une nécessité ; mais à mesure que l’éducation se répandra parmi nous, nous deviendrons aussi forts qu’eux, et quand nous serons devenus aussi forts qu’eux, nous pourrons nous passer des Anglais et prendre en mains le gouvernement du pays. — Vous vous trompez, répond son ami. C’est comme si vous disiez : — Mon frère a deux ans de plus que moi, donc, dans trois ans, je serai son aîné.» (Voir sur ce point, Young India, by W. S. Caine, 1891.)
  2. L’Inde britannique, type de colonisation moderne, 1 vol. in-18, 1889.
  3. India, 1 vol. in-8o. Londres, 1888 ; Kegan, Paul et Cie ; traduit récemment par M. Harmand, ministre plénipotentiaire, qui a occupé, durant plusieurs années, le consulat de France à Calcutta.