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exposait, et les difficultés qu’ils auraient à obtenir du parlement une aggravation de charges devenue indispensable ; et Cumberland ne leur avait laissé aucune illusion sur la faiblesse des ressources militaires dont il disposait. La paix les délivrait d’un cruel souci : et il n’y eut qu’une impression parmi ceux qui avaient connaissance du secret de la politique ; c’était la surprise que la France se fût contentée de pareilles conditions, et n’eût pas été tentée de mieux profiter du bon vent qui s’élevait en sa faveur. La peinture de cet état d’esprit assez complexe est faite en termes piquans et dans ses moindres nuances dans une lettre de Chesterfield, où respire une joie maligne d’avoir eu raison avant tout le monde et peut-être aussi quelque regret d’avoir quitté le pouvoir avant que la démonstration fût faite. — « Ma prophétie est accomplie, écrit-il à son ami, le ministre d’Angleterre à La Haye, je vous en félicite aussi bien que moi, car si une partie de ma prédiction n’était pas réalisée, c’eût été l’autre, c’est-à-dire notre ruine inévitable. Si les Français n’avaient pas signé les préliminaires au moment où ils l’ont fait et s’ils avaient voulu profiter des avantages qu’ils avaient entre les mains, nous étions perdus. Beaucoup de personnes sont étonnées ici de la modération de la cour de France et ne peuvent s’en rendre compte d’après les règles connues de la politique. De profonds historiens qui veulent toujours donner de grandes causes à tout événement auront de la peine à en assigner une pour celui-ci. Moi qui aime à voir les choses sous un jour plus simple et qui cherche plutôt les causes dans les faiblesses que dans la sagesse des hommes, voici comment je m’en rends compte : le roi de France est un prince tranquille et sans ambition qui était fatigué de la guerre et particulièrement de la vie des camps à laquelle il ne pouvait renoncer, l’ayant une fois adoptée, tant que la guerre durait. Les courtisans français ne sont pas assez maladroits pour ne pas conformer leurs sentimens aux désirs du prince, sans s’inquiéter de savoir s’ils sont contraires ou non à l’intérêt public. Changez le mot de paix en celui de guerre et le même principe vous expliquera pourquoi nous avons, nous, continué la guerre quand il était clair que nous n’étions pas en état de la soutenir. Mais quelles que soient les causes de l’événement, nous l’échappons belle, et nous tous en général, et quatre personnes en particulier : le duc de Cumberland échappe à la défaite et à la disgrâce, le prince d’Orange échappe à être déposé et le duc de Newcastle et lord Sandwich à être… Bien loin donc de blâmer la paix, ajoute-t-il, je suis cordialement satisfait qu’elle soit faite : j’étais pour la faire plus tôt et par conséquent meilleure… mais ma démission est peut être ce qui l’a