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et le chargé d’affaires de France à La Haye, Chiquet, voyait arriver chez lui notre ancienne connaissance Van Hoey, naguère ministre à la cour de France, l’ami personnel de d’Argenson, et qui n’avait jamais cessé (peut-être peut-on se le rappeler) de travailler de concert avec lui au maintien de la paix dans des vues à la fois chrétiennes et philosophiques. — « Vive le roi, s’écriait ce brave homme dans un véritable état d’exaltation, le plus puissant des rois et le plus sage des hommes ! Quel bien pour la France et pour ma chère patrie ! Puisse la France, puissent les hommes, pendant un temps infini, admirer de telles vertus et en recueillir le fruit salutaire[1] ! »

Et peu de jours après, le chargé d’affaires, admis à la cour du stathouder pour la première fois depuis l’entrée des troupes françaises sur le territoire de la république, y était comblé de complimens et presque de caresses. « Plusieurs, dit-il, allèrent jusqu’à me dire qu’ils avaient versé des larmes de joie à la première nouvelle qu’ils avaient eue de la signature de la paix, quoiqu’ils en ignorassent encore les conditions, et que ces sentimens s’étaient tournés en admiration de voir tant de modération et de désintéressement de la part du roi. Vous voyez, ajoutait-il, que si Sa Majesté n’a pas étendu les frontières de ses États, elle a fait de plus solides conquêtes encore en se conciliant l’estime et l’affection d’un peuple chez qui nous avions beaucoup perdu en perdant l’une et l’autre. »

« Vous voilà à votre aise, » disait Sandwich à Saint-Séverin et à Bentink qui lui montraient les témoignages d’approbation qu’ils avaient reçus, « mais moi je ne le suis pas. » — Effectivement, l’assentiment du cabinet britannique fut le dernier qui parvint à Aix-la-Chapelle. Non que là, pas plus qu’ailleurs, la résolution définitive fut un instant douteuse. Mais entre la nation anglaise et son gouvernement, les sentimens et les rôles se partageaient précisément à l’inverse de ce qui se passait en France. Ce fut le public qui reçut l’annonce de la paix avec une certaine froideur. La classe puissante des commerçans se voyait arracher à regret une proie certaine, et après avoir salué avec joie dans la prise du Cap-Breton les prémisses de la conquête du Canada tout entier, c’était une déception de renoncer à un accroissement de l’empire colonial, dont on jouissait déjà en espérance. Il fallut quelques jours et la hausse marquée des fonds publics pour faire taire tous les mécontens. Le ministère, au contraire, et ses amis, ne savaient que trop à quels embarras financiers la continuation de la guerre les

  1. Chiquet à Puisieulx, 7-17 mai 1848. (Correspondance de Hollande. — Ministère des affaires étrangères.)