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Saint-Séverin reçut donc après quelques jours d’hésitation un assentiment sans réserve. — « Vous avez eu de grandes difficultés, disait Puisieulx, vous en sortez triomphant. » Le ministre était encouragé par l’opinion du contrôleur-général qui disait que, si la guerre avait duré, il voyait l’enfer ouvert devant lui, et par l’approbation du comte d’Argenson, dont le sentiment avait en sa qualité de ministre de la guerre un prix tout particulier. — « Le besoin de nos affaires intérieures l’exigeait, lui écrivit-il, et le peu de confiance que nous pouvons avoir dans nos alliés semblait en imposer la loi ; nos succès militaires ont été heureux, mais cet État a besoin de repos, et de reprendre de nouvelles forces en ajoutant à l’expérience qu’il vient d’acquérir l’esprit d’ordre et de discipline dont tant de motifs ont encore à l’écarter ! » Et effectivement il ne savait que trop que les derniers contingens, levés à grand’peine, étaient composés de chétives recrues dont grand nombre désertaient en campagne.

Une adhésion plus significative encore était celle du marquis son frère, qui oubliait qu’il n’avait pas cessé d’être prophète de malheur depuis sa disgrâce et qui, pour se consoler de n’avoir pas été l’auteur de la paix, voulut au moins l’avoir prédite : — « Je prévoyais bien, dit-il dans son journal, que la paix suivrait bientôt, dans le désarroi où étaient nos ennemis. Voici des préliminaires signés et un armistice établi[1]. »

En Hollande, la satisfaction ne fut pas moindre, et le prince de Nassau ne fut pas celui qui la ressentit le moins vivement ; car la rapidité même de la solution le tirait d’un embarras cruel. Comme toutes les popularités factices, la sienne était fort compromise : car il ne réussissait plus à satisfaire ni les partisans fanatiques de la guerre, qui l’accusaient de l’avoir mal préparée, ni les timides et les pacifiques, qui avaient subi son avènement à regret et, parlant maintenant tout haut, y voyaient la cause de la ruine prochaine de leur patrie. Dans ce conflit, la proposition de rendre son pouvoir héréditaire (actuellement en délibération dans les divers États) courait grand risque de n’être pas adoptée. A Groningue, la résistance était déclarée et des mouvemens insurrectionnels déjà prêts à l’appuyer. La résolution de l’Angleterre mettait fin à tout débat, car personne, même les plus belliqueux, ne pouvait sincèrement lui demander de rester en guerre sans cette unique et indispensable amie. Aussi le contentement général s’exprima sans détour,

  1. Le comte d’Argenson à Puisieulx, 4 mai 1748. (Correspondance de Bréda et d’Aix-la-Chapelle. — Ministère des affaires étrangères. — Journal et Mémoires de d’Argenson, t. V, p. 248.)