Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/760

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’audace qui allaient lui servir à sortir d’embarras, s’ils ne le placent pas tout à fait à côté des plus célèbres compatriotes de Machiavel, lui donnent un air de famille avec les types connus de la comédie italienne.

Tout d’abord, il s’empressa d’aller retrouver Kaunitz. — « Avez-vous enfin, lui dit-il, une réponse satisfaisante ? Et quand l’attendez-vous ? » — Kaunitz lui fit remarquer que le délai convenu n’était pas expiré et qu’avant huit jours, il ne pouvait compter[1] qu’on lui accusât réception de son rapport. Saint-Séverin témoigna alors la plus vive impatience, « me répétant, écrit Kaunitz à Marie-Thérèse, avec les protestations les plus chaleureuses que non-seulement lui, mais le marquis de Puisieulx et la cour de France en général et tout le monde n’avait qu’un désir, un désir loyal de se réconcilier de préférence avec ma cour, et ajoutant que, depuis que les difficultés principales relatives à la Savoie étaient levées, il serait déplorable qu’un nouvel incident vînt à la traverse. » — Ses affirmations étaient si nettes et paraissaient si sincères, que Kaunitz, à qui certains mots échappés à Sandwich avaient inspiré des soupçons, se tint pour parfaitement rassuré[2].

Saint-Séverin était donc sûr d’avoir huit jours devant lui avant d’être mis au pied du mur par la réponse de Vienne. Huit jours, c’était suffisant pour mener à bien une affaire, mais à la condition de n’avoir à attendre ni retour de courrier de Versailles, ni surtout des communications avec Londres sujettes à tous les hasards d’une traversée maritime. Aussi, entrant brusquement chez Sandwich, au moment où celui-ci fermait la dépêche qu’il allait faire porter pour rendre compte de son premier entretien : « Je viens, dit-il, vous poser une question décisive. Pouvez-vous, oui ou non, conclure avec moi ici-même et sur-le-champ ? Si vous ne pouvez pas le faire immédiatement, il sera trop tard, et tout est manqué. — « Il me dit alors, écrit Sandwich, qu’il avait des preuves positives que les cours de Vienne et de Madrid mettaient la main à un traité particulier, assurant un large établissement à l’infant, aux dépens du roi de Sardaigne, qu’il était certain que l’envoyé d’Espagne s’était rendu secrètement la nuit dernière chez le comte de Kaunitz, qu’ils hâtaient leur négociation autant que possible, que, si nous ne prenions pas les devans sur eux, c’étaient eux qui nous devanceraient et rendraient tout ce que nous faisions impraticable… Il conclut que, si nous voulions prévenir cette trahison et la confusion qui en résulterait, je devais abandonner tous les points qui

  1. On était au 27 avril et il indiqua le 6 mai comme la date qu’il attendait.
  2. Kaunitz à Marie-Thérèse, 3 mai 1748. (Archives de Vienne.)