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A force d’instances il obtint enfin qu’elle lui demandât comment il entendait les conditions de l’établissement de l’infant. Mais la réponse suscita une nouvelle explosion de colère, car il n’eut pas plus tôt dit que le nouveau duché en cas de vacance prévue devrait retourner à ses anciens possesseurs : — « Les anciens possesseurs ! s’écria la princesse (Plaisance donc au roi de Sardaigne), non ! non ! je perdrai plutôt ma tête que d’y consentir. » Et elle fit de la main un geste significatif.

En sortant, l’impératrice se vantait elle-même à ses ministres de la manière dont elle avait traité l’ambassadeur du roi d’Angleterre. — « À ce qu’elle m’a dit aujourd’hui, écrivait Uhlfeldt à Kaunitz, elle l’a bien remboursé ; il avait voulu l’attendrir, comme il a fait autrefois lorsqu’il s’agissait de faire la paix avec le roi de Prusse, mais elle lui a dit que, pour la troisième fois, elle ne se laisserait ni attendrir, ni tromper, » — Aussi, quand Robinson, en désespoir de cause, essaya encore de frapper à la porte de quelques-uns des ministres, il trouva partout, ou l’accès fermé, ou un accueil d’une froideur glaciale. — « Cette cour, écrivait-il, est comme un homme mourant qui sait bien que le dernier moment doit venir, mais veut lutter jusqu’à la dernière heure[1]. »

Mais pendant ces allées et venues et cette agitation dans le vide, la scène changeait à Aix-la-Chapelle et se précipitait vers un dénoûment dont ni Autriche, ni Angleterre, ne pouvaient plus déterminer le caractère à leur gré. Non cependant que le plénipotentiaire français se fût trouvé en mesure de profiter, autant qu’il eût été en droit de le faire, du puissant renfort que lui apportait l’intervention armée, mais au fond non moins diplomatique que militaire, de Maurice. Il restait astreint par la lettre impérieuse de ses instructions à un programme de générosité déclamatoire que plus d’une fois, se sentant porté par la fortune, il dut, j’imagine, intérieurement maudire. L’ambassadeur d’Espagne étant arrivé, l’ouverture des conférences générales ne pouvait tarder. Quelle entrée brillante lui eût été réservée, s’il eût pu prendre l’attitude qui lui appartenait ! Personne de ceux auprès de qui il prenait séance ne pouvait ignorer que chaque coup de canon tiré à Maëstricht portait une angoisse mortelle dans le cœur de la Hollande consternée. Tous savaient également que le commandant en chef de l’armée alliée déclarait lui-même sa partie perdue d’avance. Chaque courrier apportait les nouvelles d’une retraite dont la précipitation prenait le caractère d’une déroute. Le ministre de France entrait donc

  1. Robinson au duc de Newcastle, 1er mai 1848. L’entrevue rapportée est du 26 avril, le récit, d’abord expédié en chiffres, n’est envoyé que cinq jours après par courrier. (Correspondance de Vienne. — Record office.) Uhlfeldt à Kaunitz, 27 avril 1748. — D’Arneth, t. III, p. 483.