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prétendant, il ne paraissait encore autorisé à faire aucune concession. Aussi, bien qu’on se fût séparé avec des protestations amicales, Saint-Séverin n’emportait pas de l’ensemble de l’entretien une impression favorable. — « Nous nous sommes parlé clair, disait-il, et si c’est tout de bon, cela n’aura pas plus d’effet qu’à Bréda.

Avec Kaunitz, la dissidence, qui n’était pas moins grave en apparence, prenait un caractère différent. Le contre-projet expédié de Versailles, en réponse aux propositions de Vienne, était loin d’être agréé par Marie-Thérèse et Kaunitz, qui prétendait ne pas le connaître et s’en fit donner lecture par Saint-Séverin, afin de n’avoir pas de réponse positive à émettre séance tenante : mais il ne put l’entendre jusqu’au bout sans pousser de profonds soupirs. La substitution de la Savoie aux duchés de Parme et de Plaisance pour l’établissement de l’infant en Italie lui paraissait surtout inacceptable. Jamais l’impératrice n’y consentirait, non que la proposition ne fût à son avantage personnel, puisque le duché de Parme lui appartenait encore, tandis que la Savoie, bien que conquise en fait tout entière, était en droit sujette de Charles-Emmanuel ; mais on connaissait la droiture de sa conscience, elle aimerait toujours mieux sacrifier ce qui lui appartenait que de traiter de la propriété d’un allié sans son consentement. Assurément, ce que le roi de Sardaigne avait reçu d’elle récemment par le traité de Worms, comme le duché de Plaisance, par exemple, sous une condition qui ne pouvait plus être remplie, elle se croyait en droit de le reprendre et d’en disposer ; mais la Savoie était le patrimoine héréditaire de Charles-Emmanuel : ce serait un vol que d’y toucher. La nuance était assez délicate. On ne s’attendait peut-être pas à avoir à en tenir compte dans une négociation clandestine dont le caractère était d’une loyauté douteuse. Ce n’était pourtant pas un pur prétexte, et Kaunitz connaissait bien sa souveraine. Le mélange du scrupule religieux et de l’ambition royale, et, dans le conflit de ces sentimens d’ordre divers, une subtilité de casuiste appliquée à les concilier : c’était bien là Marie-Thérèse tout entière, telle qu’elle s’était montrée déjà, et telle qu’on devait la retrouver jusqu’à sa dernière heure dans toutes les crises importantes de son glorieux règne.

Pourtant, comme Saint-Séverin laissait entendre que la.demande de la Savoie, faite pour être agréable à l’Espagne, ne serait peut-être pas maintenue quand on aurait pu s’expliquer avec l’ambassadeur de Ferdinand VI qu’on attendait encore, il n’y avait donc pas là de difficulté suffisante pour justifier le désappointement visible peint sur le visage de Kaunitz. La vérité est que ce qui blessait l’impératrice et inquiétait son représentant, c’était moins ce