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assurer l’avenir. De ces deux désirs, aucun n’était incompatible avec l’intérêt sainement entendu de la France. Pour le traité de Worms en particulier et toutes ses conséquences, la France y était restée complètement étrangère ; c’était affaire de famille à régler entre ses ennemis d’hier ; et s’il en naissait un sujet de discorde entre eux, la France n’avait ni à prévenir, ni à regretter ce dissentiment. Elle avait d’autant moins à s’en préoccuper, que, parmi les territoires cédés au roi de Sardaigne par le traité de Worms, figuraient des points importans du littoral de la Méditerranée, tel que le marquisat de Final, enlevé à la république de Gênes, et dont, en vertu du principe de réparation générale qu’elle avait posé, elle devait elle-même demander la rétrocession. Il était plus délicat, sans doute, de retirer à Frédéric la garantie de sa conquête, qu’il ne cessait de réclamer, et qu’on lui avait plus d’une fois vaguement promise, et nul doute qu’il ne conçût de ce refus qui lui serait bientôt connu, et où il verrait un manque de parole, une vive irritation, dont la pensée seule devait faire pâlir Puisieulx. Mais tout le monde ne partageait pas autour de Louis XV ce souci de ne jamais déplaire à Frédéric, qui, chez Puisieulx lui-même, était un effet non pas d’amour comme chez son prédécesseur, mais seulement de crainte. Plus d’un des collègues de ce ministre pusillanime exprimait tout haut sa fatigue de cette alliance prussienne qui avait coûté tant de sacrifices en rapportant si peu de profit et même de sécurité. Des plans d’un système fédératif tout opposé, et dont un rapprochement avec l’Autriche devait être l’élément principal, étaient formés tout haut dans le conseil, et le roi de France, ennuyé de trouver dans un confrère en royauté de date si récente un auxiliaire exigeant et souvent un censeur insolent, laissait développer devant lui ces desseins nouveaux sans y contredire.

On peut croire que Saint-Séverin, très bien en cour et ayant plus d’une manière de savoir ce qu’on y pensait, était lui-même assez enclin à prêter l’oreille à des projets de cette espèce. Quoique dans sa correspondance il se mette toujours en garde pour ne pas laisser apercevoir des préférences qui pourraient déplaire à son ministre, on distingue assez clairement que, dans le choix qu’il avait à faire entre les offres de Vienne et celles de Londres, ses inclinations comme ses espérances étaient portées du côté de l’alliance autrichienne. On voit aussi que le déplaisir de la Prusse, dont il ne prononce jamais le nom, n’était pas ce qui le préoccupait. L’idée d’un rapprochement avec l’Autriche n’était d’ailleurs pas pour lui absolument nouvelle : car c’est d’Argenson lui-même qui, dans le portrait très noir qu’il trace de ce diplomate, nous